Quelle est la force de la douceur ?
Comment la douceur est-elle cultivée par la pleine présence ?
Cet été j’ai découvert l’oeuvre de la philosophe, Anne Dufourmantelle, tragiquement disparue, qui avait écrit en 2013 un livre intituléLa puissance de la douceur, Payot. Le titre a résonné longtemps en moi et j’ai fait quelques recherches. Et, cette semaine, la plus jeune de mes sœurs rencontrant un souci personnel, je lui renvoie un sms de conseils techniques et un commentaire abrupt pour qu’elle sauvegarde ces conseils dans son téléphone. Elle me répond : « tu ne débordes pas de douceur !». C’est juste, certainement, mais ça m’a piqué, non seulement parce qu’à cet instant-là, peu disponible et mal disposée, certes, je ne débordais pas de douceur, mais aussi et surtout parce que je me pose souvent la question de savoir si je me montre assez douce avec les autres. Ce n’est pas vraiment par perfectionnisme. Mais je remarque que j’apprécie de plus en plus cette « qualité d’être » chez les autres et à leur contact. Non seulement je recherche davantage leur compagnie mais si je peux j’évite ceux ou celles qui me semblent dépourvus de cette vertu ou du moins pas en mesure de la partager avec moi. Je découvre donc que j’ai beaucoup besoin de douceur et donc, par extrapolation, je suppose qu’il en va de même pour les autres…
Aussi je vous propose de faire un peu le point sur la douceur et surtout je vais méditer avec vous pour ressentir la douceur qui est déjà là pour, un jour peut-être, à force d’entraînement, finir par déborder de douceur.
De quoi parle-t-on exactement ?
Anne Dufourmantelle présente la douceur comme « une vraie force de vie qui accompagne et porte la vie » dont aucun être vivant puisse se passer pour se développer et pour vivre. Déplorant qu’elle ait été beaucoup galvaudée par la société de consommation, confondue avec la fadeur ou la mièvrerie, elle nous rappelle que la douceur peut être une « force de résistance à l’oppression », une « force politique et psychique majeure » quand il est nécessaire de ne pas se conformer à la norme sociale comme le personnage Bartleby de Hermann Melville (1853). Cette force infinie offre une réserve d’énergie pour combattre, pour « inventer » mais aussi pour faire « ce pas de côté » qui prend un « autre chemin » à savoir « un dire non » pour pouvoir mieux « dire oui » au sens d’une acceptation de la Vie dans son entièreté, exactement comme elle s’offre à nous, dans toutes ses dimensions y compris adverses.
A quelles sources pouvons-nous puiser davantage de douceur ?
J’ai cherché aussi dans le Petit traité des grandes vertus (PUF, Perspectives critiques, 1995) ce que André Comte-Sponville en pensait. Et lui aussi décrit la douceur comme un « courage sans violence, une force sans dureté, un amour sans colère ». Les figures de la douceur qu’il invoque nous sont chères comme Etty Hillesum qui a incarnée très bien la « force de la douceur », et ce en quoi elle est une vertu. Pour le philosophe, au contraire, « l’agressivité est une faiblesse, la colère est une faiblesse, la violence est une faiblesse ». Dans toutes les grandes traditions spirituelles pluri-millénaires on trouvera les figures de la douceur comme bien sûr le Bouddha, le Christ ou le Prophète. En philosophie, nous retrouvons notre cher Spinoza pour qui le sage agit « avec humanité et douceur » (Ethique IV, Scolie 1, de prop 37). En politique, bien sûr nous pouvons nous référer à la figure de Gandhi qui a prôné une forme de résistance sans violence aux Britanniques. Il paraît qu’à la prison de Robben Island, il fallait changer les gardiens toutes les 3 semaines de peur que la bienveillance de Nelson Mandela à leur égard n’affaiblissent leur vigilance à le maintenir captif. Certes, le choix de la douceur restera toujours soumis aux circonstances et face aux nazis, il fallait certainement faire preuve de moyens plus radicaux. Pour la philosophe Simone Weil, dans La pesanteur et la grâce, 1943, « la non-violence n’est bonne que si elle est efficace » … naturellement ! Mais enfin heureusement dans le quotidien, nous n’avons pas affaire non plus et par chance (!) à l’extrême barbarie.
Or, pour rebondir sur le terme de barbarie, André Comte-Sponville permet de réviser que pour le Grecs la notion de douceur était « synonyme de civilisation » par opposition, précisément au monde des Barbares. Le terme praotès, que nous traduisons par douceur, est « porteur du sens d’apaisement, de gentillesse des manières et de bienveillance que l’on témoigne envers autrui ». Et pour les Grecs, cette façon « d’accueillir autrui comme quelqu’un à qui on veut du bien » était une manière de rendre « l’humanité plus humaine ». C’est pourquoi la douceur est considérée comme « la source de diverses vertus » comme « la souplesse, la patience, le dévouement, l’adaptabilité ». Et c’est certainement une manière plus efficiente de « se soumettre au réel, à la vie, au devenir, à l’à peu près du quotidien ». Les Grecs ont eu l’intuition de cette unité des vertus et les Stoïciens à leur suite. Ainsi, à l’apogée de l’empire romain, l’empeur-philosophe Marc-Aurèle, qui écrivait en grec, affirmait l’invicibilité d’une attitude de douceur et de bienveillance. (Voir citation)
On retrouve bien sûr dans la tradition chrétienne cette culture grecque qui irrigue les Evangiles et cette proclamation des Béatitudes, « Heureux les doux ! », est bien connue (Evangile selon Saint Matthieu V ; 4). Cette référence est intéressante car elle rappelle que nous ne sommes pas égaux devant la douceur. En ce qui me concerne malgré mes bonnes intentions philosophiques et intellectuelles, je dois reconnaître une certaine brusquerie et un penchant volontariste et autoritaire. Et, en cas d’injustice ou de frustration, la douceur ne sera pas toujours ma première réaction. Or, André Comte-Sponville se fait consolant et invite ceux qui ne sont pas doux, spontanément ni naturellemt, à cultiver et se nourrir de la douceur « pour limiter la violence […] au minimum nécessaire et acceptable » afin de parvenir à une « humanité plus humaine ».
Comment parvenir à « déborder de douceur »?
Fort heureusement nous avons la méditation de pleine présence pour nous exercer progressivement à « l’accueil », « au respect et à l’ouverture » que le philosophe évoque pour décrire cette vertu. Nous allons pouvoir observer tranquillement et régulièrement les fois où nous avons surtout fait preuve de « rigidité », de « précipitation » voire où nous avons utilisé « la force butée ». La méditation parce qu’elle permet la présence authentique est un bon outil pour parvenir à davantage de douceur puisque celle-ci est d’abord « pouvoir sur soi et contre soi s’il faut », contre les réactions trop vives, trop précipitées et trop peu humaines. Par l’observation fine des ressentis corporels, émotionnels et psychiques nous pouvons non seulement accéder petit à petit à la douceur qui est déjà là mais aussi progressivement nous pouvons parvenir à générer en nous et autour de nous davantage de douceur dans nos réactions, nos échanges et nos relations.
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Méditer pour cultiver la patience
Méditer pour découvrir l’acceptation et dire oui à ce qui est
Anne Dufourmantelle, chez Mollat, Puissance de la douceur
https://www.alminerech.com/artists/8095-mai-thu
MAI THU
Mai Trung Thứ (Kiến An, 10 novembre 1906- Clichy, 10 octobre 1980) est un peintre francais d’origine vietnamienne connu depuis la fin des années cinquante, grâce à ses représentations d’enfants, peintes à la gouache sur soie. Ces œuvres, largement diffusées par des reproductions ont contribué à la connaissance de la vie traditionnelle vietnamienne, aussi bien en temps de paix que dans la tourmente de la guerre du Viêt Nam. Cinéaste et photographe amateur, c’est aussi un musicien qui exprimera cette passion au travers de toutes les époques de sa peinture
Vietnamese painter Mai Trung Thu (Kiến An, November 10, 1906 – Clichy, October 10, 1980) has been known since the late 1950s for his paintings on silk. These works have been widely reproduced and have contributed aknowledging traditional Vietnamese life during times of peace and upheaval of the Vietnam War. An amateur filmmaker and photographer, he was also a musician who expressed this passion throughout all periods of his painting.
Marc-Aurèle, la bienveillance est invincible
Ἔννατον, ὅτι τὸ εὐμενὲς ἀνίκητον, ἐὰν γνήσιον ᾖ καὶ μὴ σεσηρὸς μηδὲ ὑπόκρισις.
Prononcer [to evmænǽs aníkētone]
Marc-Aurèle, Pensées
Neuvièmement, que la bienveillance est invincible si elle est sincère, si elle n’est pas une hypocrisie, une grimace.
Ceux qui veulent t’empêcher de marcher suivant la raison droite ne réussiront pas à te détourner d’agir sainement. Qu’ils ne t’empêchent pas non plus d’être bienveillant pour eux. Tâche de demeurer ferme dans tes jugements et dans tes actions sans cesser d’être doux pour ceux qui essaient de te faire obstacle ou qui t’importunent. Leur en vouloir est une marque de faiblesse, aussi bien que de renoncer à ce que tu as entrepris et lâcher pied parce que l’on t’a frappé. On déserte son poste en prenant en aversion celui que la nature avait fait notre frère et notre ami, aussi bien qu’en tournant le dos dans la bataille.
https://fr.wikisource.org/wiki/Pens%C3%A9es_de_Marc-Aur%C3%A8le_(Couat)/11