LA PRESENCE : ” Pour le miel d’une présence, le souffle d’un murmure “
chanson J.-J. Goldman, 1981 Pas l’indifférence !
Comment cultiver le miel de la présence grâce à la méditation ?
En quoi la méditation améliore-t-elle le « miel d’une présence » ?
A l’école quand on fait l’appel, les élèves répondent « Présent ! Présente ! ». Depuis l’épidémie de COVID, on apprécie davantage de pouvoir être présent à Noël, aux anniversaires ou à un concert. Et depuis le développement du numérique, de la visio-conférence et du distanciel, le vrai luxe, c’est le présentiel. Quel drôle de mot ! … mais enfin, on voit bien l’idée : se rendre présent, dans un même lieu et au même moment en remettant à l’honneur la dimension physique, matérielle et corporelle des humains.
Très précisément, la présence c’est le fait d’être là, d’être physiquement et psychiquement ici et maintenant, au bon endroit et au bon moment, dans un espace et dans un temps qui nous situe à la fois dans l’univers, dans la succession des jours et des années mais aussi les uns par rapport aux autres, voire même, les uns pour les autres. Au regard de l’Histoire, d’ailleurs, comme dans la mise en récit de notre propre vie, il n’est pas neutre de pouvoir dire « j’y étais, j’étais là ! » plutôt qu’avoir à justifier une absence comme un manquement : « et toi, t’étais où ce jour-là ? Pourquoi t’étais pas là ? » sous-entendu « pourquoi t’étais pas là, avec nous et à la place à laquelle on t’attendait ? ».
Par ailleurs, et comme un hommage aux personnes qui ont pris soin de nous et qui prennent soin encore des nôtres, je soulignerais volontiers que, du début à la fin de notre vie, nous avons eu besoin et nous avons encore besoin de sentir une présence aimante et chaleureuse. Nous avons tous été des nourrissons vulnérables et nous avons tous vu des nourrissons cesser de pleurer du simple fait d’être approchés ou pris dans les bras. Nous avons tous dans notre entourage des parents et des grands-parents qui, au soir de leur vie n’espèrent rien d’autre, qu’une présence. Christophe André raconte les bienfaits prodigués par un accompagnant bénévole pour un vieillard, seul dans le service des soins palliatifs, auquel il se contente tout simplement de tenir la main devant la télé. Je me rappelle très bien moi-même d’avoir simplement tenu la main de la grand-mère de mon père devant la télé ou d’avoir été dans la chaleur et l’affection de ma grand-mère : c’était des moments intenses et essentiels. Enfin, nous connaissons des familles au sein desquelles grandissent des enfants atteints d’autisme et de handicaps sévères. Plus que tous les autres, ces enfants ont besoin d’une qualité de présence particulière, capable d’allier la vigilance, la simplicité et l’intensité, en-deçà du langage mais au-delà des préjugés. Il s’agit pour les parents de trouver un toucher supportable qui souvent tend vers l’immobilité, d’adapter le son de la voix et parfois de s’en tenir à quelques expressions reconnaissables comme « le souffle d’un murmure » de la chanson. Et surtout la présence doit de s’inscrire dans la durée et dans la régularité pour produire de la sécurité et de la confiance. C’est pourquoi elle demande du courage et de la détermination. En effet, il est prouvé médicalement que la présence physique, calme et stable, tout comme les gestes de chaleur humaine et la tendresse tendent à réduire les hormones du stress comme le cortisol et à augmenter la production d’hormones du bien-être et du lien telle que l’ocytocine. Et ces équilibres homéostatiques dans le corps ont un effet notable sur la santé globale. Comment, donc, parvenir, dans tous ces moments cruciaux de l’existence, à « donner de la présence » comme le dit Christophe André dans son livre Imparfaits, libres et heureux ?
Je propose un petit détour culturel pour avancer dans la voie de la présence. Le vers de la chanson de J.-J. Goldman « le miel d’une présence » fait référence dans la tradition judéo-chrétienne à l’expression « un pays où coulent le lait et le miel » employée pour la première fois dans le Livre de l’Exode (3:8), lorsque Moïse voit le buisson ardent. Il s’agit alors de décrire l’abondance de la Terre promise. Et j’ai trouvé intéressant de rappeler ici que dans les 3 grandes religions du Livre, le mot présence est important. Dans la Bible hébraïque le terme shékina (littéralement « demeure » ) désigne ainsi la présence de Dieu parmi son peuple, son immanence dans le monde et sa manifestation entre eux quand les Juifs se réunissent. Historiquement cette présence était ainsi la plus intense et la plus perceptible dans le Temple de Jérusalem. On retrouve d’après l’Encyclopédia Universalis un terme équivalent en araméen, la langue du Christ, pour évoquer Dieu et éviter les expressions qui seraient trop anthropomorphiques. Ensuite, en grec, dans la langue des Evangiles, le terme choisi est celui de parousia pour désigner la présence divine et tout spécialement la présence telle qu’elle est ressentie par l’intermédiaire de Jésus-Christ. Enfin, dans le Coran, le terme Shekinah se retrouve tout aussi bien pour évoquer la présence paisible et apaisante de Dieu. Ce n’est pas le lieu ici d’approndire l’exégèse des textes mais de se rappeler que ces grandes traditions spirituelles ont souligné l’importance du ressenti d’une présence authentique et immuable. Ainsi, dans le Psaume 23 cité par Christophe André on lit : « Même si je marche dans un ravin d’ombre et de mort, je ne crains aucun mal car tu es avec moi ».
Et je me demande donc comment, en fille, en sœur, en amie, en collègue, en voisine, en passante…je peux « être avec » véritablement ?
Christian Bobin qui est un écrivain français récemment disparu décrit à hauteur d’homme ce qu’il appelle la « présence pure ».
« L’arbre devant la fenêtre et les gens de la maison de long séjour ont la même présence pure
- sans défense aucune devant ce qui leur arrive, jour après jour, nuit après nuit »
L’auteur évoque l’accompagnement de son père atteint de la maladie d’Alzheimer et comment il a essayé de trouver dans sa prose poétique un peu de répit et de sérénité. Constatant simplement qu’il « est impossible de protéger du malheur ceux qu’on aime », l’auteur cherche à transcender par la présence affectueuse et l’inspiration quasi-mystique son expérience douloureuse.
Dans un autre registre, Matthieu Ricard ne cesse de témoigner quand il parle de ses maîtres spirituels tibétains de l’extraordinaire « qualité de présence » faite de constance dans la disponibilité et d’une bonté sans limite. Il nous apprend cette « qualité d’être » qui se déploie dans une authenticité et une cohérence absolue aux valeurs prônées.
Enfin, Christophe André, dans le milieu médical, décrit des expériences de psychologies sociales dans lesquelles les soignants d’unités de soin pour autistes ont cherché à améliorer non seulement leur compétences techniques mais aussi la qualité de leur présence en pratiquant la méditation.
Dans ces expériences d’écrivain, de soignant ou de moine, nous voyons en effet que le point commun c’est d’avoir pratiqué une forme ou une autre de méditation. En effet, la méditation permet de dégager non seulement du temps mais aussi un espace intérieur dans lequel expérimenter d’abord de soi à soi-même la présence au corps, la présence aux pensées et la présence aux émotions. C’est l’étape incontournable pour mieux aider ensuite les autres et surtout pour leur donner une présence simple, pleine et authentique. Loin des jugements, loin des attentes et des performances, il s’agit d’apprendre à demeurer simplement présent à ce qui est, exactement comme c’est, pour le moment, ici et maintenant.
Pour offrir une présence aux Autres et au monde ajustée, douce et lumineuse comme le miel nous commençons par descendre en nous-mêmes à la rencontre de ce que nous sommes profondément, de ce que nous sommes véritablement. Nous descendons, non seulement au-delà des apparences et des contingences en fermant les yeux, mais aussi, au-delà du mental et même au-delà du psychologique. Nous nous entraînons inlassablement à dégager en nous un espace d’accueil et d’hospitalité pour nous-mêmes comme pour un Autre avant de prétendre accueillir dignement et avec hospitalité l’Autre comme nous-mêmes. Par la méditation, nous expérimentons, dans la durée, la présence authentique. La présence est ainsi dans l’espace entre nous et au cœur de la relation, dans le lien subtil entre nous, dans le rapport doux et délicat qui peut exister de soi à soi-même, de soi aux Autres et de soi au Monde.
Imparfaits, libres et heureux ? https://www.youtube.com/watch?v=Mojw4t7ypc8
« L’arbre devant la fenêtre et les gens de la maison de long séjour ont la même présence pure
– sans défense aucune devant ce qui leur arrive, jour après jour, nuit après nuit »
Christian Bobin, La présence pure, Gallimard, 2008
https://www.babelio.com/livres/Bobin-La-presence-pure-et-autres-textes/99998
” Il y a ainsi des gens qui vous délivrent de vous-même aussi naturellement que peut le faire la vue d’un cerisier en fleur ou d’un chaton jouant à attraper sa queue. Ces gens, leur vrai travail, c’est leur présence. “
Christian Bobin – Œuvre : Tout le monde est occupé (1999)
À découvrir sur le site https://www.mon-poeme.fr/citations-presence/
https://www.universalis.fr/encyclopedie/shekina-mystique-juive/
Illustration : https://www.super-marmite.com/blog/miel-reconnaitre-et-acheter-un-produit-de-qualite/
“le miel d’une présence” est extrait des Paroles de la chanson Pas L’indifférence par Jean Jacques Goldman 1981
J’accepterai la douleur
D’accord aussi pour la peur
Je connais les conséquences
Et tant pis pour les pleurs
J’accepte quoi qu’il en coûte
Tout le pire du meilleur
Je prends les larmes et les doutes
Et risque tous les malheurs
Tout mais pas l’indifférence
Tout mais pas le temps qui meurt
Et les jours qui se ressemblent
Sans saveur et sans couleur
Tout mais pas l’indifférence
Tout mais pas le temps qui meurt
Et les jours qui se ressemblent
Sans saveur et sans couleur
Et j’apprendrai les souffrances
Et j’apprendrai les brûlures
Pour le miel d’une présence
Le souffle d’un murmure
J’apprendrai le froid des phrases
J’apprendrai le chaud des mots
Je jure de n’être plus sage
Je promets d’être sot
Tout mais pas l’indifférence
Tout mais pas le temps qui meurt
Et les jours qui se ressemblent
Sans saveur et sans couleur
Tout mais pas l’indifférence
Tout mais pas le temps qui meurt
Et les jours qui se ressemblent
Sans saveur et sans couleur
Je donnerais dix années pour un regard
Des châteaux des palais pour un quai de gare
Un morceau d’aventure contre tous les conforts
Des tas de certitudes pour désirer encore
Echangerais années mortes pour un peu de vie
Chercherais clé de porte pour toute folie
Je prends tous les tickets pour tous les voyages
Aller n’importe où mais changer de paysage
Effacer ces heures absentes
Et tout repeindre en couleur
Toutes ces âmes qui mentent et qui sourient
Comme on pleure
RETROUVER EGALEMENT