https://www.lepoint.fr/religion/matthieu-ricard-un-chemin-de-vie-06-10-2021-2446585_3958.php

Rencontre avec Matthieu Ricard : Un parcours de vie

Bourse du travail

Lyon

dimanche 10 octobre 2021

Un parcours de vie : de l’institut Pasteur à l’Himalaya,

à l’occasion de la sortie de Carnets d’un moine errant.

http://www.rencontres-perspectives.fr/Matthieu-Ricard-Lyon-2021.htm

La pratique de méditation inspirée par cette rencontre

I/ RECHERCHE D’UNE SOURCE D’INSPIRATION

Le Dalaï-Lama dit souvent qu’à 20 ce n’est pas tellement le sens de l’existence qui pause question mais plutôt de savoir : “Quel sens puis-je donner à mon existence ?”

Matthieu Ricard (M. R.) remarque qu’on sait qu’on ne voudrait certes pas une vie ennuyeuse mais on se cherche des modèles car on ne sait pas vraiment ni quoi faire ni comment faire pour donner ce sens.

M. R. : “J’étais déconcerté car ayant eu le privilège de grandir dans une famille intellectuelle, grâce à laquelle je rencontrais toute sorte de personnes dans toute sorte de métiers (artistes, intellectuels, aventuriers etc…). On pouvait trouver dans toutes ces occupations, une distribution assez au hasard de personnes épanouies et d’autres souffrant beaucoup, n’ayant pas toujours bon caractère, ne se comportant pas toujours bien avec les autres etc… »

« Je remarquais qu’être un bon philosophe ou un grand mathématicien ne garantissait pas d’être un bon être humain. Et malgré leurs habiletés dans tel ou tel domaine, on n’avait pas forcément envie d’être comme eux, en tant qu’humain”

M. R. ne disposait d’aucune source directe d’inspiration spirituelle quand en 1967 il voit le film d’Arnaud Desjardins qui avait passé 6 mois à filmer des grands maîtres tibétains. Il a été frappé car tous arboraient des visages franchement souriants. Et malgré la variété des formes de visages, il remarque : “c’est comme s’il y avait une unité dans la diversité”. De tous émanaient une sagesse et une présence remarquables. Pour Matthieu Ricard c’est comme s’il avait vu 20 Socrate ou 20 Saint François d’Assise etc…car dit-il ces visages offraient comme une fenêtre directe de l’âme.

M. R. a ressenti cette vive impression qu’on se sentirait bien dans leur présence apaisante et s’est tout de suite demandé : “comment devenir comme l’une de ses personnes ?”

Dans le bouddhisme il y a un grand principe qui consiste à essayer de combler le fossé entre les apparences et la réalité, les choses apparaissant autonomes alors qu’elles sont dans un flux interdépendant par exemple. Et donc M. R. se dit : “Il faut que j’aille voir !” et il profite des 6 mois de vacances dont il dispose pour aller en Inde.

Sur les conseils d’Arnaud Desjardins et Frédérick Leboyer, il a pu rencontrer Kangyour Rinpoché qui les avait particulièrement impressionnés et qui est, parmi les maîtres ayant reçu leur formation au Tibet, un des principaux fleurons de la civilisation tibétaine, après avoir passé des dizaines d’années de retraite spirituelle. La rencontre avec ce yogi, pratiquant marié, qui vivait dans une petite maisonnette en bois, au toit en tôle, a eu lieu dans la région de Darjeeling. Il y a découvert un silence recueilli, paisible et accueillant dans lequel le maître se montrait solide et attentif.

Qu’est-ce qu’un maître spirituel ?

“Un maître spirituel est quelqu’un qui n’a rien à perdre, rien à garder, mais tout à partager et qui vous réserve un accueil parfait”

Et M. R. a reçu en effet une “hospitalité incroyable”.

Pour M. R., le maître spirituel représente la perfection humaine en termes de bienveillance, de sagesse, de libération de l’esprit de tout ce qui nous déchire comme l’animosité, la jalousie, l’orgueil. C’est un être duquel émane une paix intérieure contagieuse. C’est celui qui “par la simple qualité de son être fait que le meilleur de l’autre vient à la surface”.

M. R. raconte qu’il a observé au fil des 6 ou 7 aller-retour que, peu à peu, il avait eu un sentiment d’affinité croissant : “à l’institut Pasteur mon esprit allait là-bas, quand j’étais là-bas j’oubliais complètement l’institut Pasteur”. Bien sûr son père était consterné, mais lui se rappelle de l’insouciance de sa jeunesse quand il a décidé de partir et en riant observe : “ ça s’est bien passé !”

Comment reconnaître un maître authentique ?

En Occident le mot “guru” a mauvaise presse car il a été dévoyé par l’univers sectaire. En Inde, par contre, c’est un mot noble. M. R. explique que le guru est un vrai guide spirituel qui, comme dans toutes les religions, a une immense expérience et une érudition exceptionnelle. A ce terme est liée l’idée d’apprentissage. “Mais, précise-t-il, auprès d’un guru ce dont il s’agit, c’est apprendre comment devenir un bon être humain et comment se libérer des causes de la souffrance”.

“En Europe, poursuit Mathieu Ricard, avec les Lumières a été inventé l’individualisme qui a eu de fort bons côtés, car personne ne veut être soumis ou dépendant comme un serf ou un esclave”. Mais quand il est exacerbé, l’individualisme peut être nuisible selon M. R.

« Pour les Occidentaux, s’en remettre et se confier à quelqu’un, c’est mal vu ! »

Comment reconnaître un charlatan ?

Pour Mathieu Ricard, la distinction entre un charlatan et un maître authentique se fait sur la durée : “théoriquement il faut examiner le maître 12 ans avant de se fier à lui et inversement”. Par ailleurs M. R. explique “on se sent tellement bien en leur présence, même dans les moments de silence et personne ne cherche pas à vous retenir, ce n’est pas du tout pas comme dans une secte où des pressions s’exercent et où l’on cherche à impressionner les gens”

“Au Tibet, on dit qu’un charlatan c’est comme une meule en bois qui ne mout pas le grain ou comme une mare pleine de boue, on n’en sort pas plus propre”. Donc, M. R. explique : “C’est très important d’être prudent pour choisir son maître spirituel”

II/ LE CHEMIN DE TRANSFORMATION

Que faire de cette inspiration ?

M. R. raconte comment à partir de la fin 1972, il a passé 7 ans dans un petit monastère et a fait des retraites dans un petit ermitage en bois de cryptomère sur piloti à 2000m d’altitude disposant d’une bougie, d’un sceau d’eau et étant nourri par les moines quand ils n’oubliaient pas…Il ajoute : “ j’étais tellement content que je n’ai souffert de rien”. C’est là qu’il a commencé à pratiquer sérieusement.

Puis il a reçu étape par étape les enseignements du bouddhisme avec des outils et des méthodes fournis au fur et à mesure avec de nouvelles instructions. Il se rappelle la joie de la découverte et l’enthousiasme ressenti du fait de suivre son chemin.

Mathieu Ricard a vécu auprès de Kangyour Rinpoché jusqu’en 1975, et décrit : “tous les jours je m’assois dans sa chambre, nous prenons les repas en famille puis il a quitté son corps en posture de méditation”. Pour M. R. ce fut “comme si le soleil disparaissait, mais en même temps le fait d’avoir vécu si longtemps auprès de lui, sa présence habite mes pensées comme s’il était partout, et beaucoup de moments me rappellent sa présence”.

Quelle rencontre avec la sagesse bouddhiste ?

M. R. rit en disant qu’on peut vouloir tout réinventer par soi-même, mais ça risque de mal se terminer. Et surtout il interroge : “ pourquoi se priver de 2500 ans d’expériences et d’écrits importants ?”

M. R. rapporte par ailleurs que de grands chercheurs en psychologie lui ont fait une véritable déclaration d’humilité face à la masse de connaissances qui émanent des contemplatifs bouddhistes.

Il y a une discipline de la tradition bouddhiste qui est le pramana : connaissance valide ( qui se rapproche de la logique occidentale). Et Pour M. R. c’est plutôt raisonnable d’éprouver de l’admiration pour une habileté formidable et qui est disponible. Mais ensuite, il faut faut se mettre à la tâche. En effet, le Bouddha aurait eu cet aphorisme édifiant : “je vous montre le chemin, c’est à vous de le parcourir”.

Au sujet de son maître par exemple, M. R. déclare “je n’ai jamais trouvé un défaut dans la cuirrasse”. Il rapporte ainsi : “en 13 ans auprès de mon maître je n’ai jamais noté ni une pensée, ni une parole ni un acte qui pourrait être nuisible à quelqu’un donc j’ai eu confiance”. Chez tous ces maîtres tibétains, M. R. a observé “les mêmes qualités : ce sont des êtres humains exceptionnellement bons et d’une très grande sagesse”. Ce qui est frappant, c’est “l’extrême cohérence de ces grands maîtres” comme s’ils étaient parvenus à la distillation de toute la sagesse et de toute l’expérience contemplative accumulée sur des millénaires.

Dans une seconde époque, Matthieu Ricard a eu pour maître Dilgo Khyentsé Rinpoché qui est considéré comme un maître parmi les maîtres, et que le Dalaï-Lama lui-même considère comme un maître. Au Bouthan où il séjourna également pour tout le monde le considère comme un maître spirituel.

M. R. donne à entendre comme il est exceptionnel de partager l’intimité d’un grand ermite qui part en retraite pendant 4 mois et comme la vie lui a semblé vie riche et variée dans cette présence chaleureuse et nourrissante. Ca lui rappelle une offrande dite du feu de la connaissance qui vise à réduire l’ignorance et les poisons mentaux.

Dilgo Khyentsé Rinpoché n’avait jamais eu de monastère, il voyageait mais il en a construit un à la fin de sa vie au Népal pour transmettre l’ensemble des enseignement du monastère de Séchèn près d’un des trois grands Stupa/ reliquaires du bouddhisme.

En 1985 Dilgo Khyentsé Rinpoché a demandé à retourner au Tibet, et 3 mois de séjour au Tibet : il est accueilli comme un dieu vivant. Il n’avait jamais froid même à 3500 mètres peu vêtu en haut du corps. Les gens venaient de partout pour le voir et recevoir ses enseignements

M. R. dit de lui : “j’avais tellement reçu, j’ai de quoi pratiquer pendant 50 000 vies, ça dépend de moi de mettre tout ça en pratique”. La tristesse semble contenue. En effet, d’après M. R. on dit que la mort d’un maître, c’est l’ultime enseignement sur l’impermanence : c’est surtout un rappel de la valeur de chaque instant auquel il faut donner toute sa valeur. Ainsi, “en retraite méditative, chaque moment a une densité et une intensité incomparables, et l’on a sentiment de l’immense valeur du temps qui encourage à pratiquer de son mieux jusqu’à son dernier souffle”. Ce rappel de la “précarité de la vie est enfin un encouragement à faire de son mieux”

III/ AU SERVICES DES AUTRES

M. Ricard s’est employé à préserver cet héritage précieux des manuscrits tibétains pour les réimprimer et il montre des photos prises au Tibet dans la plus grande imprimerie de l’histoire où 270 000 blocs en bois qui sont imprimés. Elle a été miraculeusement préservée par un Lama qui s’était barricadé à l’intérieur et épargnée par l’astuce d’un général chinois très cultivé. Elle est aujourd’hui classée au patrimoine mondial de l’UNESCO. Lors d’un 6 mois de séjour pour y travailler M. Ricard a contribué à imprimer 40 volumes de ces ouvrages et au monastère de Séchèn après 13 ans de travail il a permis d’imprimer 400 volumes pour les préserver. Il a également pris en les photographies de 40 000 images de l’art tibétain. Matthieu Ricard s’est aussi consacré à des activités de traduction textes qui l’inspirait ( 10 ans pour terminer la traduction d’une biographie d’un maître tibétain du 17° siècle)

Pour Matthieu Ricard la photographie c’est une autre façon de mettre en valeur la nature et la culture du Tibet afin de ne pas se contenter de présenter toujours des images de la misère et de la guerre. Il redoute le “syndrome du mauvais monde”. Et il a pris plutôt le parti de montrer la part sauvage du monde et les bons aspects humains pour mener à l’émerveillement qui est favorable à l’altruisme car on s’oublie un peu devant plus grand que soi.

Le Dalaï- Lama ayant eu avec M. Ricard un sentiment de proximité car il était le disciple de son maître, quand il le voit à Paris lui demande de traduire. Et depuis lors quand il vient en pays francophone M. R. lui sert d’interprète. Il raconte systématiquement qu’ayant l’occasion d’être donc tout le temps avec le Dalaï-Lama il a observé : “c’est le même avec tout le monde, présent et attentif”. C’est un véritable “ bain de jouvence spirituelle de passer une semaine avec lui” car on rit beaucoup avec le Dalaï-Lama qui a conservé un humour presqu’enfantin et une simplicité extraordinaire.

En 1997 une part de la vie de Matthieu Ricard a beaucoup changé à l’occasion de la publication d’un dialogue avec son père. Quand on lui propose il a répondu : “vous rigolez ? bonne chance !” Puis “catastrophe que vais-je devenir ?”. Il décide alors de faire venir son père en Inde afin de “jouer sur mon terrain comme au foot” et on a conversé une partie de la journée. Le livre Le moine et le philosophe et à sa suite un reportage d’Envoyé spécial lui ont offert la notoriété qu’il trouve “ tellement artificielle” mais reconnaît que “ça a ouvert beaucoup de portes”.

Depuis quelques temps, Matthieu Ricard participe à des programmes de recherche sur la méditation, a passé 110 heures dans les IRM, afin d’explorer la neuro-plasticité du cerveau quand on est exposé à un nouveau mode de vie ou quand on décide de s’entraîner à la méditation. Bien sûr pour les méditants de plus de 40 000 heures les observations sont nettes mais même si l’on fait des tests sur des personnes décidant de pratiquer 20 minutes par jour pendant quelques mois, il y a déjà des changements significatifs. A la suite, on voit se développer les “neurosciences contemplatives” qui cherchent actuellement les effets de la méditation sur le vieillissement.

La conférence se termine par la présentation des activités de l’association humanitaire Karuna-Séchèn que Matthieu Ricard a fondé et au profit de laquelle les bénéfices de la conférence et des ouvrages sont récoltés.

Matthieu Ricard : Un parcours de vie

https://karuna-shechen.org/fr/