La méditation, une ressource dans le deuil.
En quoi la méditation s’offre-t-elle comme une ressource dans le deuil ?
037 – VIVRE LE DEUIL : Méditer pour prendre soin du deuil.
En quoi la méditation s’offre-t-elle comme ressource dans le deuil ?
Pour de nombreuses raisons, il me tenait à cœur, non pas d’asséner des leçons de vie brutales et inutiles du style « comment vivre le deuil en 3, 5 ou 9 étapes » ou encore « le deuil pour les nuls ». Mais j’avais envie de partager en lien avec la méditation, des ressources et des références pour se préparer à vivre le deuil ou pour proposer un accompagnement de la traversée du deuil qui est donné à vivre.
Pour commencer, je vous recommande la lecture du libre de Delphine Horvilleur, intitulé Vivre avec nos morts qui se présente comme un livre de consolation tissant tout à la fois les fils du conte, de l’exégèse et de la confession afin de laisser ouvert un passage « entre les vivants et les morts ».
Cette femme qui exerce la fonction de rabbin sait particulièrement « trouver les mots et [connaît] les gestes » et montre que dans la mort aussi « une place peut être laissée aux vivants ». Car le deuil est à vivre pour ceux qui restent et qui souffrent. Ils peuvent se sentir tout à la fois révoltés et abandonnés, malheureux et inconsolables. Elle propose un récit articulé autour de la tradition juive et de ses expériences aux côtés des familles. Elle trouve important de montrer aussi « combien dans la vie, nous avons été en vie » ensemble pour ne pas finir réduits au statut de disparus.
Bien sûr nous avons aimé les récits édifiants au premier rang desquels ceux qui illustrent comment les Juifs qui ont survécu à la Shoah ont continué « malgré tout de choisir la vie », comme Marcelline Loridan qui s’est efforcé avec Simone Veil et les « filles de Birkenau » « de vivre et d’aimer ».
Mais ce qui est impressionnant c’est qu’elle évoque pour nous les deuils particulièrement délicats à envisager, celui d’une amie dans la fleur de l’âge et bien sûr le scandale absolu de la disparition d’un enfant. Avec sensibilité, mais sans pathos, elle décrit cet « effondrement du monde », « ce chaos indicible dans lequel plonge l’humanité, sous les traits de parents dont l’avenir est en un instant devenu le passé ».
A lire ce livre, on apprécie que Delphine Horvilleur trouve pour nous les mots qui manquent pour accompagner le deuil car généralement « personne ne sait parler de la mort » et que ceux qui restent et qui souffrent ont terriblement besoin d’évoquer non seulement leurs disparus mais aussi leur immense douleur personnelle.
Enfin, nous aimons qu’elle évoque son rôle de rabbin qui est là, non pas pour « faire sienne la douleur de ceux qu’il accompagne », mais pour « permettre aux effondrés de croire en la possibilité de se relever » et pour « incarner la possibilité, la promesse d’une continuité ». Elle puise ainsi dans la tradition juive, l’inspiration et la force de faire « vivre en nous et uni à nous pour toujours » quelque chose de celui qui part en l’intégrant à notre vie. En effet, les « rites du deuil sont là pour accompagner les disparus mais plus encore pour accompagner ceux qui restent » afin de leur permettre « de traverser cette épreuve, celle de la survie » en leur offrant le réconfort dont ils ont besoin.
Par ailleurs et par hasard, avant de vous renvoyer à certains films réconfortants sur ce thème, je porte à votre connaissance un essai de Jacqueline LAGREE qui est professeure de philosophie émérite à l’université de Rennes I. Disponible sur internet, il a été présenté en exposé à un réseau breton de soins palliatifs pédiatriques et s’intitule Guérir la mort ? . C’est un beau texte écrit non seulement avec l’expertise universitaire mais aussi avec le cœur et l’expérience d’une femme qui « fut confrontée à la maladie grave et à la mort de son mari puis à la mort d’un enfant, ce qui est pire ». Celle-ci mobilise pour nous les « ressources de son esprit » ainsi que les « grands textes de la culture occidentale ». Nous avons beaucoup aimé, que pour affronter « l’épreuve du malheur », Jacqueline Lagrée nous rappelle à « l’exigence de la pensée » car la médecine ne « donne pas de raison de vivre »… « ne soigne pas le deuil, ni la qualité de la relation, ni l’absence ».
Je vous renvoie à ce travail déjà fort synthétique pour ne pas le résumer ici mais juste indiquer que j’ai aimé qu’elle aborde sans détour « la mort des petits enfants » peu évoquée par les philosophes dont beaucoup ont vécu une époque de forte mortalité infantile. J’ai trouvé édifiante cette approche de cet « impensable, le scandale par excellence, la mort et particulièrement la mort d’un enfant » ce que Fiodor Dostoïevski comme Albert Camus « disait ne pas pouvoir pardonner à Dieu ».
Après avoir convoqué nos philosophes préférés au premier rang desquels nous retrouvons Montaigne et Spinoza pour voir si l’on peut non seulement penser mais surtout atténuer « la douleur de la mort de l’autre », nous avons aimé que Jacqueline Lagrée évoque concrètement la méditation comme ressource au final la plus concrète et la plus efficace. D’abord Comme Delphine Horvilleur, cette philosophe observe tout à fait que, face à la disparition de nos proches, « il nous faut alors changer de monde » et souvent brutalement. Elle ne propose certes pas de tout guérir ni de ne pas souffrir mais à l’invitation de Spinoza de « méditer la vie » afin de moins souffrir du deuil, d’accepter « l’absence, non pas sans douleur mais dans un certain apaisement ». En effet , elle propose de méditer la vie en ruminant en quelque sorte cette pensée que la « vie humaine est création, non pas fatalité mais liberté, non pas clôture du passé mais ouverture sur l’avenir, non pas possession mais don ». Elle nous invite ainsi : « ne pensons pas seulement à ce que nous perdons par son départ mais d’abord à ce qu’il ou elle nous a donné ».
Aussi Jacqueline Lagrée nous renvoie-t-elle en dernière analyse à notre « propre amour de la vie » et à notre façon « d’être au monde » qui correspond à notre façon « d’être disponible au présent et à l’inattendu du futur ». C’est là que nous faisons le lien avec la méditation, car la philosophe conclut que notre attitude face à la mort est commandée au fond par « la façon dont nous vivons le présent » à savoir le vivre soit comme un instant inconsistant, soit comme passage et [mouvement] pérenne soit comme un grain d’éternité. Pour celui qui vit de la sorte, qui reste disponible à un futur autre et créateur, qui songe à épuiser le champ de son possible, la mort n’est qu’un fantôme que la lumière solaire de midi, l’heure du présent, éloigne comme une ombre vaine. »
Nous nous sommes installés et nous tournons notre attention pendant un petit moment vers ce que nous ressentons profondément lorsque le chagrin, la peine, les blessures, les douleurs se donnent à vivre.
Comme nous en avons l’habitude dans la pratique de la méditation, nous profitons dans l’immobilité, le silence relatif et la solitude pour ressentir, dans le corps d’abord les zones de notre corps qui souffrent, qui souffrent du manque, de l’absence, du vide irrémédiable. C’est une rencontre délicate mais sans danger dans cet exercice.
Grâce à la méditation, nous pouvons offrir cette attention pleine et entière aux parties de nous-même affectées par le chagrin et la peine.
Et tranquillement nous prenons le temps d’observer et même peut-être de s’étonner : je pensais pas que ça ferait aussi mal … je ne pensais pas que je souffrirais autant … c’est fou ce que ça fait mal … c’est fou ce que c’est brutal …, c’est fou ce que c’est intense.
Méditer et tourner son attention vers une tristesse immense pour s’autoriser le ressenti de toute cette peine et de toutes ces larmes. C’est peut-être comme dans ce vers de MIOSSEC :
« ne me secoue surtout pas car je suis plein de larmes »
Et c’est à rebours aussi de ce que parfois l’entourage tente de faire … les « secoue-toi » …, les « reprends-toi » ….
Pendant quelques moments s’autoriser à observer à quel point on est juste plein de larmes.
Nous pratiquons une observation fine, attentive, précise.
Un vers de Jean-Jacques GOLDMAN disait à quel point les choses n’existent jamais tant que le manque qu’elles ont laissé.
Observer le retentissement dans tout notre être et dans tout notre corps des émotions et des pensées dues au manque laissé par la disparition et l’absence.
Méditer ne vise pas à « guérir » au sens médical du terme comme s’il fallait effacer et cicatriser à toute vitesse.
Il s’agit moins de guérir que de soigner. Soigner c’est ici, dans le sens un peu ancien du terme, prendre soin.
A la campagne, on disait qu’on allait soigner les animaux au sens d’en prendre soin. On allait les panser avec un A pour remplir leur panse et les nourrir, c’était une manière de prendre soin.
Ma grand-mère disait quand elle avait été bien reçue dans un restaurant « on a été bien soignés ».
Il n’y a, au fond, personne pour « bien soigner » notre deuil. Et, en tout cas, personne n’est là pour le soigner mieux que nous-mêmes. Car, dans son intensité et dans sa férocité – d’une certaine manière – il n’y a que de soi à soi-même que la substance et les manifestations sont ressenties et connues véritablement.
Il y a un autre sens de soigner qu’on entendait aussi quand on était petit. C’était « soigne ton écriture » ou « soigne ton travail ». Dans ce cas-là, il s’agissait de s’appliquer pour faire de son mieux.
Si l’expression « travail de deuil » n’est pas tellement nourrissante et qu’elle est même un peu choquante. En tout cas l’intention de « soigner le deuil » peut être une ressource qui invite à « s’appliquer à vivre le deuil ».
C’est ce que nous proposons dans la méditation à savoir : donner toute son attention au deuil. Méditer pour vérifier que la qualité de l’attention est la meilleure possible. Puis, descendre, tout au fond de soi, là où les apparences n’ont plus à être sauvées et que, peut-être, en laissant infuser doucement les évocations,… les pensées,….les sensations on peut laisser revenir les souvenirs.
Méditer pour disposer d’assez de temps pour renouer avec la vie d’avant, pour renouer avec celui ou celle qui est parti-e. Mais renouer, non plus comme un défunt, mais comme un vivant,… un vivant pour nous comme il était en vie ou comme elle était en vie du temps de son vivant. Méditer c’est aussi se faire du bien et se soigner en se reconnectant avec cette vie en nous,…. cette vie en nous qui vit toujours …méditer c’est revivifiee les liens qui nous unissent au-delà du temps et de l’espace et qui demeurent au fond de nous malgré tout : l’affection, l’amour et la tendresse demeurent tout au fond de nous, inchangés, infinis et certainement pour l’éternité.
Méditer pour ressentir l’éternité dans ce présent. Méditer pour trouver au cœur de l’instant présent ce grain de toute l’éternité contenue. Descendre tout au fond de nous et rejoindre ce qui nous constitue et ce qui constituait la véritable nature de nos relations.
S’accorder ainsi, en méditant au cours du deuil, le ressenti de la puissance infinie de l’amour en nous, … de l’amour donné, ….de l’amour reçu.
Sentir comme le lien demeure et continue de nous nourrir et de nous faire grandir.
Dans cet espace de liberté que nous nous offrons, nous recomposons le futur. C’est au fond de notre cœur et de notre être véritable que nous avons la possibilité de nous ressourcer, de nous revivifier, de nous relier non pas tant à l’absence mais à cette présence éternelle et infinie de ce qui nous relie à ceux que nous avons aimés et que nous aimons encore, pour toujours.
Vivre paisiblement notre finitude

