VULNERABILITE : blessé mais pas vaincu

Episode 2

Blessé mais pas vaincu

« Je suis le maître de mon destin, je suis le capitaine de mon âme »

Dans cette série consacrée à la vulnérabilité, nous explorons en quoi cette notion est une ressource intéressante et paradoxalement très puissante qu’il est pertinent d’activer à certains moments de l’existence. Rappelons qu’il ne s’agit ni de se plaindre, ni de pleurnicher ni de s’auto-apitoyer. Rien ne serait pire que de s’auto-dévaloriser, par ailleurs. Nous dédions, tout au contraire, ses lignes à ceux et celles, proches ou éloignés, qui en ce moment sont blessés et souffrent d’une manière ou d’une autre. Non seulement nous les comprenons mais nous partageons à plus ou moins long terme leur condition, l’humaine condition.

Etre un humain c’est généralement être courageux et endurant, déterminé et enthousiaste mais par définition toute cette puissance, morale et vitale, trouve sa limite dans la vie même du corps. Notre corps humain est, par définition, sensible, susceptible de ressentir la douleur et la souffrance pour assurer sa propre survie. Et, au soir de notre vie, inéluctablement, notre corps devient vulnérable. Parce que nous sommes vivants et mortels nous sommes vulnérables à la différence bien sûr des super-héros ou des dieux. Et, au final, c’est certainement ce qui rend nos vies d’êtres humains tellement intenses et savoureuses par comparaison aux leurs éternelles mais peut-être ennuyeuses. Voilà pourquoi la vulnérabilité n’est pas un problème ou un manque mais certainement une ressource sublime.

C’est pourquoi l’art qui sublime nos vies mortelles s’inspire de la vulnérabilité. Ainsi, il y a dans les vers d’une chanson pas très connue de Yannick NOAH intitulée Le même sang que toi quelques mots qui éclairent tout à fait bien cette dimension sublime. Après avoir énuméré quelques états en évoquant la peur, la douleur, l’auteur de la chanson Jacques VENERUSO écrit «  Quelle est ta blessure ? Où est la mienne ? ». Nous prenons ici le temps de ressentir au fond de nous comme ces paroles nous touchent et comme elles changent potentiellement tous nos rapports aux autres. En effet, elles nous placent dans le champ de la vulnérabilité comme un état partagé par tous. Les humains parce qu’ils sont vivants et complexes sont susceptibles de souffrir. Et personnellement je n’en connais pas d’indemnes et je trouve que considérer que nous souffrons tous est bienfaisant pour moi et meilleur pour ma relation aux autres et au monde.

D’ailleurs, à ce stade nous retrouvons d’autres vers d’une autre chanson, écrite cette fois par Jean-Jacques Goldman et intitulée Tu manques qui nous le rappelle simplement : « on apprend tout de ses souffrances ». Non pas qu’il y ait un sens caché ou une intention de type destinée ou malédiction à chercher derrière les blessures et les souffrances. Car ça n’aurait selon moi aucun sens en fait d’imaginer une instance organisant notre souffrance à dessein. Mais l’auteur populaire écrit plus loin : « je suis plus vivant que je crois ». Et c’est le véritable et paradoxal enseignement de la souffrance : nous faire sentir vivant, encore vivant, toujours vivant.

C’est ce que nous avions déjà rencontré par l’intermédiaire d’un poème très connu qui est au fondement d’un certain stoïcisme victorien et qui a inspiré de nombreuses générations. Invictus est le titre donné au poème de William Henley, publié en 1888 et qui signifie « invaincu, dont on ne triomphe pas, invincible ». L’auteur écrivit ces lignes en 1875 sur son lit d’hôpital, à la suite de son amputation du pied, il avait 25 ans. William Henley disait lui-même que ce poème était une démonstration de sa résistance à la douleur consécutive à son amputation. Ce sont ces valeurs de maîtrise de soi et de libération vis-à-vis de la peur de la mort qui permettent la tranquillité de l’âme et la poursuite de la vie malgré tout. Il paraît que William Henley apparaissait ainsi comme « … Un grand et rayonnant gaillard, large d’épaules, avec une grosse barbe rousse et une béquille ; jovial, d’une intelligence extraordinaire, et d’un rire semblable à un roulement de tambour ; d’une vitalité et d’un feu inimaginable, il fascinait ».

Par ailleurs, nous savons que ces vers auraient beaucoup inspiré Nelson Mandela durant les 27 années de sa détention. Et le film de Clint Eastwood qui rendit hommage au héros sud-africain s’intitule évidemment Invictus. Un an après son élection, il s’agit pour le premier président noir d’encourager l’équipe nationale et de remporter la coupe du monde de rugby organisée pour la première fois en Afrique du Sud. J’avais été marquée par un dialogue du film entre le capitaine de l’équipe de rugby, François Pienaar, et, Nelson Mandela. Le sportif explique en substance au président Mandela qu’il ne faut pas s’inquiéter de la blessure de tel ou tel joueur car la plupart du temps les joueurs de rugby jouent blessés. « Comme dans la vie ! » fut la réponse de Nelson Mandela.

Nous ne sommes ainsi pas les seuls à avoir cette intuition que la vulnérabilité n’est en rien une faiblesse mais une dimension humaine qui, au contraire, peut engendrer une réelle force psychique et morale et une grande énergie vitale et physique. J’ai même découvert en préparant cette méditation que des compétitions sportives, les Invictus games, ont été organisées depuis 2014 pour permettre aux militaires blessés en opération d’être accompagnés dans la reconstruction de leur vie d’après la blessure. Les militaires comme les sportifs ont l’habitude de la douleur et de la souffrance tout autant que du courage et de la résilience. Ainsi le maréchal des logis-chef Benjamin blessé à deux reprises notamment en Nouvelle-Calédonie témoigne de l’importance de la dimension fraternelle de Invictus Games et déclare que ce tournoi « permet de se prouver que nous sommes de nouveau capables d’accomplir des choses. Malgré la blessure et le handicap, nous sommes encore aptes. La vie continue et il ne faut pas s’arrêter à cela ! »

Reconnaître et éprouver sa vulnérabilité constitue une ressource pour avancer dans la vie car elle enseigne aussi que l’on pourra dépasser les blessures et les souffrances endurées vaillamment.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Invictus_(po%C3%A8me)

https://la-pensee-du-jour.blogspot.com/2019/01/invictus-william-ernest-henley.html?spref=pi

https://www.gendinfo.fr/loisirs/Sport/Invictus-Games-une-premiere-victoire-sur-la-blessure

https://www.francetvinfo.fr/sports/temoignages-invictus-games-grace-au-sport-des-militaires-blesses-en-operation-oeuvrent-a-leur-reconstruction_5084119.html

Invictus Games : une première victoire sur la blessure !

Auteur : l’aspirante Morgane Jardillier – publié le 19 octobre 2018

Pour leur quatrième édition, les Invictus Games investissent Sydney, en Australie. Du 20 au 27 octobre, 24 militaires blessés, vétérans et civils du ministère des Armées et de la gendarmerie vont défendre les couleurs de la France. Une compétition hors norme qui encourage davantage les militaires sur le chemin de la ”guérison”.

Sur la piste d’athlétisme, dans la piscine, sur le terrain de basket ou de volley-ball, aux Invictus Games, la recherche de la performance est là, bien entendu, mais l’objectif de ces jeux va bien plus loin…

Imaginée par le prince Harry en 2014, la 4e édition de cette compétition, qui se déroulera en Australie du 20 au 27 octobre, va voir s’affronter plus de 500 militaires, femmes et hommes, provenant de 18 nations. Tous ces athlètes ont en commun d’avoir été blessés, physiquement et/ou psychologiquement (syndrome post-traumatique), dans le cadre d’opérations extérieures, en service ou lors d’exercices ou de stages visant à la préparation opérationnelle.

Au-delà du volet sportif, ces jeux ont pour objectif de permettre et d’encourager les militaires blessés à se reconstruire par le sport. Ils offrent également l’occasion au grand public d’exprimer son soutien à celles et ceux qui ont servi leur pays. Pour ces athlètes, la participation à cette compétition est bien plus qu’une étape dans leur long parcours de reconstruction. Elle représente une victoire sur leur blessure et sur eux-mêmes.

Une délégation de 24 athlètes, dont cinq militaires et un vétéran de la gendarmerie, représente la France cette année à Sydney. Athlétisme, aviron en salle, basket-ball et rugby en fauteuil, cyclisme sur route, défi de conduite, force athlétique, natation, tir à l’arc, volley assis et voile sont les disciplines dans lesquelles les Français vont défendre les couleurs tricolores.

L’an dernier, à Toronto, la France a remporté 36 médailles, dont 12 en or.

« Je suis le maître de mon destin, je suis le capitaine de mon âme »

Ces vers extraits du poème Invictus, du britannique William Ernest Henley, dont les Invictus Games tirent leur nom, l’adjudant Nicolas, le maréchal des logis-chef (MDC) Benjamin et le gendarme Florian, trois des gendarmes participant aux Jeux, les appliquent parfaitement.

Ces militaires, comme tous les autres, ont en commun de pouvoir citer la date exacte de leur blessure, le jour précis où leur vie a basculé. Ce jour où ils ont découvert un tout autre parcours du combattant.

La blessure du gendarme Florian remonte à 2014, date à laquelle il était engagé en Guyane avec son escadron, dans le cadre de l’opération Harpie. Lors d’une mission de lutte contre l’orpaillage illégal, il est pris à partie par des contrebandiers qui font feu sur lui et ses camarades. Une balle atteint son bras droit, sectionnant deux nerfs et une artère.

Malgré des mois de rééducation, les séquelles sont inévitables et le retour sur le terrain impossible. Après sa convalescence, la gendarmerie lui propose un programme de reconstruction par le sport, lequel s’impose comme un élément fondamental dans l’accompagnement des militaires blessés sur le chemin de la réinsertion et de la guérison.

Blessé mais pas esseulé

Un manque de coordination dans la prise en charge des blessés, le sentiment de certains militaires d’être abandonnés dans une situation difficile… C’..

« On est blessé, on pense ne plus rien pouvoir faire, on n’a plus d’activité physique, on ne voit plus personne, on s’isole… La reprise du sport permet de se sociabiliser de nouveau et au fur et à mesure, avec l’entraînement, la recherche de la performance et les résultats qui en découlent, il permet de se prouver que nous sommes de nouveau capables d’accomplir des choses. Malgré la blessure et le handicap, nous sommes encore aptes. La vie continue et il ne faut pas s’arrêter à cela ! »

S’adapter

Sa spécialité ? Le tir à l’arc. Plus précisément, l’arc à poulie, plus facile à manier. « Un sport qui m’est familier, puisque je le pratiquais à l’adolescence ». Il reprend alors goût à la compétition et savoure l’esprit d’équipe qu’il retrouve également dans la pratique du volley-ball assis.

S’accommoder de la souffrance, accepter celui que l’on est devenu, « dépasser ses limites », tel sont ses leitmotive. Sa ténacité est l’un de ses atouts incontestables. « Je suis particulièrement têtu. Je déteste ne pas arriver à faire quelque chose. Et tant que je n’ai pas réussi, je ne lâche rien ! »

Ses progrès sont tels, qu’il participe, cette année, à ses troisièmes Invictus Games, au cours desquels il a déjà décroché une médaille de bronze. Le militaire est aujourd’hui devenu un athlète reconnu.

« Les Invictus Games, c’est un moment unique ! On retrouve l’esprit de corps propre à l’Armée. C’est toujours un plaisir de pouvoir y participer, de rencontrer d’autres frères d’armes de pays étrangers, de pouvoir les côtoyer, échanger… Cela apporte un bien fou dans la reconstruction ! »

La compétition : une belle bagarre, en aucun cas une guerre

Évidemment, les participants rêvent de décrocher des médailles pour leur pays, mais l’essentiel est ailleurs… Il n’y a pas de perdants aux Invictus Games, seulement des participants qui regagnent l’estime de soi et prouvent à tous que c’est encore possible !

Pour le gendarme tricolore, porter les couleurs de la France à l’étranger prend forcément une tournure symbolique. « J’étais habitué aux déplacements avec mon escadron de gendarmerie mobile dans diverses missions opérationnelles. Participer aux Invictus, alors que je ne pensais plus pouvoir servir mon pays, c’est une fierté et un beau challenge. »

Se surpasser

Au sein de l’équipe de France, l’adjudant Nicolas et le maréchal des logis-chef Benjamin participent, quant à eux, pour la première fois aux Invictus Games.

Pour l’adjudant Nicolas, le sport est sa potion magique. « Je suis tombé dedans tout petit ! » Plus qu’un dispositif de reconstruction, le sport a été pour lui une évidence. « Tout militaire est à la base un grand sportif, compétitif et habitué à affronter la douleur. »

Amputé de trois doigts à la suite de l’explosion d’une grenade dans sa main, il comprend, grâce au dispositif de reconstruction par le sport, que même avec un handicap, il peut accomplir de belles performances.

Il ne peut que vanter l’apport de l’activité sportive dans sa vie et l’esprit de corps qui se crée avec ses compagnons d’armes lors des nombreux stages de préparation physique et psychologique organisés par le Centre national des sports de la Défense, afin d’optimiser leur niveau de performance. « La cohésion est encore plus forte ici. Nous sommes entre blessés, et cela m’a permis de me rendre compte que mon handicap est moindre par rapport à d’autres. »

Au-delà d’être une étape clef dans le parcours de reconstruction des blessés, les Invictus Games contribuent également à combattre les préjugés et le regard des autres, surtout celui des enfants. « Mes enfants avaient peur que je ne sois plus la même personne, que je ne puisse plus faire les mêmes activités. J’ai emmené mon fils à une séance d’entraînement et il a immédiatement été réconforté. » À force d’entraînement, l’adjudant Nicolas a ainsi retrouvé la joie de se surpasser, pour lui et pour les siens.

Une force humaine

Le MDC Benjamin s’est, quant à lui, plongé dans la vie de sportif au CNSD après deux blessures. Percuté par un véhicule en 2014, il sortira de cet accident avec une double fracture ouverte à la jambe gauche et de multiples fractures. En 2017, pris à partie en Nouvelle-Calédonie, il sera cette fois polycriblé à la main droite

Pendant sept jours, le gendarme va participer pour la première fois à des épreuves aussi variées que le volley-ball assis, le rugby fauteuil, le cyclisme, l’athlétisme et la force athlétique. « On ne se considère par pour autant comme des sportifs de haut niveau, mais c’est notre histoire, notre reconstruction et il faut vivre ce rendez-vous à fond ! »

Même s’il ne réalise pas encore la portée de cette compétition, il espère profiter pleinement, avec ses camarades, de ces Invictus Games, qui représentent surtout un véritable moment de fraternisation entre sportifs. « J’ai découvert, dès la première journée, une force humaine. Nous sommes une force ensemble : on s’entraide, on s’encourage, on donne le meilleur de nous-mêmes. On a trouvé une autre famille, au sein de laquelle on se reconstruit tous ensemble. »

Qu’ils s’appellent Florian, Nicolas ou Benjamin, aux Invictus Games, il y a plus de 500 exemples de courage et de résilience. De nombreux défis les attendent, cette semaine mais aussi toutes les suivantes. Des défis qui les pousseront à aller toujours plus haut, plus loin…

https://www.francetvinfo.fr/sports/temoignages-invictus-games-grace-au-sport-des-militaires-blesses-en-operation-oeuvrent-a-leur-reconstruction_5084119.html

Dans les ténèbres qui m’enserrent,
Noires comme un puits où l’on se noie,
Je rends grâce aux dieux quels qu’ils soient,
Pour mon âme invincible et fière.

Dans de cruelles circonstances,
Je n’ai ni gémi ni pleuré,
Meurtri par cette existence,
Je suis debout bien que blessé.

En ce lieu de colère et de pleurs,
Se profile l’ombre de la mort,
Je ne sais ce que me réserve le sort,
Mais je suis et je resterai sans peur.

Aussi étroit soit le chemin,
Nombreux les châtiments infâmes,
Je suis le maître de mon destin,
Je suis le capitaine de mon âme.