LA COLERE Méditer pour limiter les conséquences néfastes de la colère

Connaître la colère grâce à la mythologie, la philosophie, la théologie, la psychologie et méditer à partir d'un petit récit sur les conséquences de la colère.

Connaître la colère grâce à la mythologie, la philosophie, la théologie, la psychologie et méditer à partir d’un petit récit sur les conséquences de la colère.

LA COLERE : Méditer pour limiter les conséquences néfastes de la colère

Parmi les émotions intenses et parfois difficiles à vivre, il y a bien sûr la colère. C’est d’ailleurs une des émotions qui se remarquent le mieux et qui est l’objet de nombreuses expressions dans tous les registres.

Nous pouvons partir de l’expression « les foudres divines » pour retrouver la mythologie grecque et se rappeler que les Grecs se représentaient Zeus, le père des Dieux, de manière anthropomorphique, comme un dieu assez colérique. Et les Grecs redoutaient pour eux-mêmes, en effet, toutes les conséquences de ses colères susceptibles de les transformer en animal , en rocher ou en monstre.

Dans la Bible aussi on peut trouver la mention de la « colère divine » par exemple dans le Deutéronome. Dieu dans ce cas a le monopole de la vengeance. L’épisode du déluge illustre ainsi l’une des plus édifiantes colères divines du fait de la déception causée à son créateur par l’humanité. Le déluge permet de faire table rase et d’apaiser la colère divine. Plus tard on trouve l’expression « sainte colère » pour faire référence à l’épisode de l’Evangile dans lequel Jésus se met en colère contre les marchands du Temple à Jérusalem. Il faut se représenter l’esplanade qui monte au Temple et les soubassements de celui-ci dans lesquels sont nichés des petites boutiques qui proposent à la vente tout le nécessaire pour le culte. Il s’agit pour Jésus non pas de fustiger le commerce en soi, mais, de donner une nouvelle lecture de la relation à Dieu et au Temple, et, dans son exaspération, il renverse les tables de change des marchands qui ne comprennent pas son message nouveau.

Nous pouvons aussi tenter d’aller du côté de la philosophie. Et on retrouve, au IVè siècle avant JC en Grèce, chez Aristote cette colère présentée comme une passion. Ce serait une passion nécessaire à la vie humaine, voire normale en fait. La nature en aurait dotée les humains afin qu’ils finissent par se sentir mieux. Au fond la colère serait le moyen de mieux réaliser notre bien, de disposer d’une plus grande vigueur morale et, au final, de la force nécessaire pour advenir à son meilleur. Mais évidemment, tout ceci n’est acceptable qu’à condition que, comme toutes les autres passions, la colère soit modérée par la raison. Car, hors des limites de la raison, les passions constituent des armes dangereuses voire des armes impossibles à manier. Et là, on voit bien que la colère a pu également être considérée de manière péjorative voire négative. On le voit ainsi avec Sénèque, plus tard à Rome au Ier siècle de notre ère, dans De Ira, le traité philosophique Sur la colère qu’il écrit à la demande de son frère qui en avait besoin. Sénèque se montre très sévère, considérant la colère comme le vice supérieur à tous les autres, le « fléau du genre humain », sans aucune utilité et à bannir absolument car la colère ouvrirait la porte à tous les autres vices. Il la décrit comme une « excitation de l’âme qui marche volontairement et délibérément vers la vengeance, le désir d’infliger un châtiment ». Il en dénonce les « funestes effets » et il préconise de la chasser de nos vies.

On retrouve cette condamnation de la colère dans le christianisme, qui s’élabore à la même période dans l’empire romain. La colère est rangée dans les Sept pêchés capitaux avec la haine et l’envie qui veulent du mal au prochain, qui sont associées à la violence et qu’il convient donc d’éviter le plus possible. Saint Thomas d’Aquin enfin au XIIIè siècle dans sa Somme théologique pose la question de savoir si la colère ne serait pas le pêché le plus grave, pire encore que la haine et l’envie. Après un examen très méthodique de la question, il en vient cette conclusion que, si et seulement si, la colère est soumise à la raison, elle pourrait être considérée comme naturelle et utile permettant par exemple la promptitude et l’exercice d’autres vertus comme le courage, la magnanimité, la justice. Mais, si le rempart de la raison cède, alors tout est perdu. Et saint Thomas d’Aquin d’observer, que la colère est source de beaucoup de fautes, au sens moral du terme, même quand l’objet de la colère revêt l’apparence du bien. Et dans l’histoire, il y a en effet maints exemples qui étayent cette thèse à savoir que, trompés par la séduction du bien, les hommes en colère se sont livrés à des crimes terribles. Et donc, la colère est toujours suspectée de nous faire prendre un risque moral en raison des conséquences qu’elle engendre.

Pour finir, par ailleurs, on peut également citer Albert Camus, dans l’Homme révolté, 1951 qui propose un point de vue plus existenciel sur la colère et la présente comme le contraire de l’insouciance et de l’indifférence. La colère serait plutôt comme une ouverture au monde qui donne une « puissance d’être ». Elle serait plus légitime car elle donne le courage de survivre à l’homme quand il est livré au mal le plus absurde. C’est la colère qui donne la capacité à exprimer sa résistance à l’opposition et à l’oppression.

L’approche de la méditation enfin peut constituer une ressource supplémentaire et peut-être supérieure aux autres en ce qu’elle offre un entraînement et une pratique renouvelée de la colère. Tout d’abord, il s’agit d’utiliser la psychologie pour changer de regard et considérer la colère comme une émotion naturelle qui aide au pilotage de sa vie en procurant un surplus d’énergie dans le corps qui est utile pour se mettre en mouvement et passer à l’action. La colère serait donc un excellent starter. En effet, la colère permet de mettre des limites à son territoire et éventuellement d’en chasser les intrus, que ce soit un territoire physique, un territoire symbolique ou un territoire psychique. La colère est davantage considérée comme la garante du respect de soi et de ses valeurs. Et de ce fait elle devient indispensable. Evidemment, il y a une gradation dans la colère. On observera de petits agacements, de légères irritations mais parfois il y aura de grosses bouffées de colère, voire un véritable volcan intérieur qui gronde et menace d’exploser si nécessaire pour dégager son territoire. Christel Petitcolin, qui décrit ainsi la colère dans son petit livre, Emotions, mode d’emploi, indique qu’il n’y a qu’une sorte de colère qui soit vraiment inadéquate, c’est la colère contre soi. Elle explique que c’est d’ailleurs absurde de vouloir s’en prendre ainsi à un ennemi intérieur. Elle propose l’image de la guerre civile à l’intérieure de soi avec une métaphore fratricide qui nous mettrait comme hors de nous. Et ce n’est pas souhaitable ni vivable.

En méditation de pleine conscience, nous sommes donc invités à connaître le sens de la colère et à reconnaître son utilité pour gagner en puissance intérieure et mieux disposer de notre espace psychique. On fera toutefois très attention à ne pas envahir, sous l’effet de la colère, le territoire d’autrui. Et c’est d’ailleurs là que Christel Petitcolin distingue la rage de la colère. Si la colère est exprimée d’un ton calme, ferme et déterminé c’est une énergie pour agir. Par contre, si la colère est générée par un sentiment d’impuissance ou une frustration ressentie quand on est confronté à des limites extérieures difficiles à appréhender, elle peut dégénérer en une rage, une mise en accusation d’autrui ou alors carrément même de la violence. Et, plus on se sentira impuissant à défendre son propre territoire, plus on aura tendance à secouer la clôture des autres voire à envahir le territoire des autres. Or, si les émotions sont toutes absolument légitimes, tous les comportements ne le sont pas. Ce sont bien les comportements qui sont à modérer en priorité. Pour gérer les accès de rage, c’est tout un apprentissage de la frustration qui doit se faire pour admettre que les autres aussi ont leurs limites et qu’elles ont également leur pertinence. Le remède à la frustration ce sera dans ce cas-là le lâcher-prise.

Grâce à la méditation nous pourrons prendre effectivement en compte la colère dès les tous premiers frémissements d’agacement pour protéger son territoire, faire respecter son identité et ses limites et imposer l’équilibre dans la relation avec l’autre. Comme pour la peur, il s’agit de traiter les premières étincelles car, comme le dit souvent Mathieu Ricard, c’est toujours plus facile que d’éteindre une étincelle qu’un feu de forêt. Il s’agit enfin d’apprendre soit à agir ou soit à lâcher-prise avec justesse et pertinence, en revenant en nous pour déterminer quel est le besoin dont l’émotion est le signal. Et en général nous observerons un besoin de se sentir respecté à l’origine de la colère qui doit être pris en compte et c’est la raison pour laquelle on doit s’entraîner pour ne plus redouter la colère, mais reconnaître qu’elle est nécessaire et constructive. Cet accélérateur garantit en effet notre identité et notre intégrité et permet de formuler des phrases à la première personne et d’employer les termes du champ lexical du respect pour évoquer son territoire, ses valeurs, son temps. Ce besoin de respect est par ailleurs différent du besoin essentiel d’être aimé avec lequel il ne faut jamais le confondre. La méditation, donc, permet de ressentir dans le corps l’énergie de l’émotion pour la reconnaître et en tenir compte. La méditation permet de distinguer précisément les besoins à nourrir et permet enfin de trouver les actions les plus ajustées et les plus pertinentes à poser. Sources : Michel ERMAN, Au bout de la colère, réflexion sur une émotion contemporaine, Plon, Paris, 2018

Christel Petitcolin, Emotions, mode d’emploi, Jouvence, 2003 / https://la-philosophie.com/

 Nous prenons un moment pour nous entraîner et pour porter notre attention sur les ressentis intérieurs et tout spécialement ceux de la colère. Nous ne sommes pas dans l’illusion et nous savons qu’il nous faudra de nombreuses pratiques, beaucoup de patience et de persévérance pour venir à bout de la colère plus facilement. Pour conserver la motivation nécessaire, nous pouvons lire cette histoire citée par  ERNESTO ORTIZ (La porte de la libération

 « C’est l’histoire d’un petit garçon qui avait mauvais caractère. Son père lui avait donné un sac de clous en lui disant que chaque fois qu’il s’énerverait, il devrait enfoncer un clou dans la barrière. Le premier jour, le garçon planta 47 clous dans la clôture. Mais de jour en jour, le nombre de clous diminua. Il découvrit qu’il était plus facile de contrôler son humeur que de planter ces clous dans la clôture.

Finalement arriva le jour où le garçon ne s’énerva plus du tout. Il alla le dire fièrement à son père qui lui suggéra alors d’enlever un clou pour chaque jour où il avait pu contrôler sa mauvaise humeur. Les jours passèrent et le jeune garçon put finalement dire à son père que tous les clous avaient été retirés. Le père prit son fils par la main et le conduisit jusqu’à la clôture.

Il dit : « Tu as bien travaillé, mon fils, mais regarde les trous dans la clôture. La barrière ne sera plus jamais la même. Lorsque tu dis quelque chose dans la colère, cela laisse une cicatrice comme celle-ci. Si tu enfonces un clou dans la chair d’un homme et le retires, tu auras beau répéter « je suis désolé » autant de fois que tu veux, la blessure sera toujours là. » »

Cité par Ernesto ORTIZ dans  « La Porte de la Libération »

Dans la pratique de méditation, toutefois, nous ne sommes pas là pour évoquer le bon ou le mauvais caractère. Nous ne sommes pas là non plus pour développer une approche morale à l’ancienne : sur l’air du « c’est pas beau de faire des colères ».

Nous prenons juste conscience qu’effectivement, dans bien des cas, outre que la colère consomme de l’énergie et génère de la fatigue, la colère nous conduit aussi à des paroles et des actes que nous pouvons regretter et déplorer voire même dont nous finissons par avoir franchement honte. La  colère n’est pas bonne conseillère :  nos mots dépassent de beaucoup ce qui est nécessaire et nos pensées ne sont pas exactement les mêmes que celles à tête reposée.

Allons donc explorer ce que nous ressentons sous l’effet de la colère même si ces ressentis nous animent et nous brassent. C’est la raison pour laquelle nous nous entraînons finalement parce que c’est difficile.

Nous nous intériorisons pour ressentir physiquement les zones d’impact de la colère en nous. Généralement il s’agit d’une chaleur que nous pouvons ressentir dans le plexus solaire ou dans les mains qui chauffent. Nous affinons notre obervation et nous détectons les signaux les plus faibles avant que l’embrasement ne soit  généralisé ou qu’il ne nous monte à la tête pour altèrer nos capacités et nous entraîner dans des attitudes et des comportements néfastes.

La méditation développe cette sensibilité et cette attention aux signaux faibles : il s’agit de détecter une toute petite alerte plutôt que d’attendre et que se déclanche une alarme générale. Nous nous entraînons à remarquer qu’une de nos limites a été atteinte. Nous surveillons nos territoires symbolique, physique ou psychique pour noter les petites attaques. Ou, plus précisément, nous notons les situations dans lesquelles nous ressentons une menace sur nos territoires.

Et, dans un premier temps, sans rien changer et en observant en nous la résistance ou le désir de la lutter, nous nous restons présents à ce ressenti physique de la colère en nous. C’est déjà difficile car ce n’est pas l’attitude courante ni l’attitude spontanée. Mais nous apprenons à tenir compte de ce ressenti physique de l’énergie de la colère en nous, dans la présence et sans vouloir que les  choses ne soient autrement qu’elles ne sont : sans déplorer, sans se lamenter, sans résister au ressenti. Tranquillement nous nous maintenons dans l’énergie de la colère.

Nous nous rappelons que l’enjeu avec les émotions c’est de leur laisser le temps et l’espace de se déployer puis de passer. Nous n’entretenons pas notre colère par des pensées ou des interactions qui la stimulent. La colère va finir par passer et même très rapidement. Répétons que dans quelques minutes ça va passer tout simplement. Nous restons dans la confiance : ce n’est pas dangereux de ressentir en soi l’énergie de la colère de la même manière qu’il n’y a aucun danger à voir clignoter dans sa voiture un voyant lumineux qui signal le besoin d’aller chercher de l’essence. Non, ce n’est pas dangereux, ça ne fait même pas mal, c’est même pas  forcément si désagréable.

Par contre grâce à la méditation nous essayons de découvrir le besoin qui est signalé et qui n’est pas satisfait par la situation. Sans entrer dans un dialogue interne ni déclencher des ruminations. L’énergie de la colère signale que nous avons un besoin à prendre en compte. La colère signale généralement un besoin de respect ou un besoin de respect des limites. On peut avoir besoin qu’on respecte notre identité ou nos valeurs ou notre intégrité.

La question primordiale c’est : quel est le qui se manifeste à travers l’énergie de la colère ? De quoi ai-je besoin ici  et maintenant ?

Honnêtement, reconnaître de soi à soi-même, ce dont nous avons vraiment besoin apporte déjà beaucoup d’apaisement. Il y a en effet un vrai soulagement dans le fait de décrypter ainsi l’énergie de la colère.

Les besoins sont communs à l’humanité entière. C’est certainement ce qui nous rapproche le plus des autres. Et donc c’est ce qui sera le plus facile à mettre en lumière et à partager ensemble. C’est pourquoi il nous faut de la clarté sur nos besoins. Il nous revient, en premier, de les reconnaître , de les prendre en compte et  dans une certaine mesure de les nourrir nous-mêmes. Il est ainsi important de vérifier, de nous à nous nous-mêmes, nous traitons avec respect et gentillesse. Vérifions bien que nous nous témoignons du respect en considérant que nous avons des limites : nous avons des limites physiques d’abord mais aussi émotionnelles et symboliques et psychiques.

Est-ce que nos actions sont en conformité avec nos valeurs ? Est-ce que nous nous témoignons du respect dans la congruence de nos valeurs et de nos actes ?

Dans l’espace de la méditation, nous mobilisons d’abord nos ressources et nos capacités avant éventuellement de nous tourner vers les autres pour faire une demande claire : « j’ai besoin de respect » , « j’ai besoin que tu prennes en compte mes valeurs et de ce qui est important pour moi ».

L’énergie de la colère peut forcer le trait pour nous faire malheureusement sortir de nos gongs. Mais nous nous entraînons à formuler des demandes et à poser des limites, dans le respect des valeurs et de l’intégrité de ceux qui  sont nos interlocuteurs. Si nous sentons que l’énergie est trop intense et que le bouillonnement est source de confusion en nous, il ne faut pas hésiter à différer, à laisser refroidir le moteur, à laisser s’atténuer un petit peu l’énergie en nous physique. C’est le temps nécessaire à la fois pour trouver quel est le besoin à satisfaire mais présenter aux autres notre demande. Notre demande doit être authentique juste et respectueuse pour être prise en compte et éventuellement traitée efficacement. Si nous ne voulons pas essuyer un refus, une fin de non-recevoir ou pire déclencher chez l’autre une grosse colère, il est important de prendre le temps d’élaborer ce qu’on pourrait appeler les « éléments de langage ». Il convient de transformer l’énergie de la colère qui nous donne force et intensité  pour  passer à l’action, en une demande qui n’allume pas tragiquement une étincelle de colère chez l’autre. Tout l’enjeu c’est de transformer notre énergie de colère en ferment de dialogue et en une véritable écoute par l’autre de notre demande.

Nous pouvons prendre appui sur la respiration. L’ancrage physique que nous cultivons dans la méditation est également très précieux. Revenir à notre centre de gravité, un petit peu au-dessous du nombril, et juste respirer dans ce point de stabilité. Si nous avons besoin de définir les limites, de réaffirmer les limites, de poser les limites claires et fermes, il faut les incarner physiquement et prouver la stabilité interne. Par une forme de calme intérieur, nous démontrons que nous avons la certitude d’exprimer un besoin légitime et d’adopter une attitude ajustée à la situation.

Venir à bout de la colère : sources

Sources : Michel ERMAN, Au bout de la colère, réflexion sur une émotion contemporaine, Plon, Paris, 2018

https://www.philomag.com/livres/au-bout-de-la-colere

Christel Petitcolin, Emotions, mode d’emploi, Jouvence, 2003

https://la-philosophie.com/

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