«N’oublions pas que les petites émotions sont les grands capitaines de nos vies et qu’à celles-ci nous obéissons sans le savoir » Vincent Van Gogh, Lettres à Théo, Gallimard 1988, p 517.

MEDITER POUR DEVENIR CAPITAINE DE SA VIE
Cette méditation est inspirée de la citation
« N’oublions pas que les petites émotions sont les grands capitaines de nos vies et qu’à celles-ci nous obéissons sans le savoir »
Vincent VAN GOGH, peintre et dessinateur néerlandais (1853-1890)
Lettres à son frère Théo, Gallimard, 1988, p. 517.
A l’heure où même les intelligences artificielles commencent à reconnaître, imiter et s’adapter aux émotions, il ne serait guère raisonnable de minimiser le rôle de l’intelligence émotionnelle.
Ce n’est pas tant une question de performance ou de compétition pour nous qui aspirons à grandir en sagesse, mais de lucidité voire de simple bon sens. Car, comme le savait parfaitement Vincent Van Gogh, faute de cette clairvoyance, nous sommes comme des pantins ou des pions qui avançons dans la partie à l’aveuglette et comme entravés par nos petites et grandes émotions.
La méditation de pleine conscience propose de cultiver une plus grande attention aux émotions en commençant par les « petites ». Dans un cadre protégé et dédié qui est soustrait au flot de l’existence, nous méditons pour essayer d’être un peu moins vite emportés dans les tourbillons émotionnels, pour espérer en sortir un peu plus rapidement et parvenir peut-être à conduire nos existences au lieu de laisser nos émotions en être « les grands capitaines ».
Il s’agit, non pas de gérer ses émotions ou encore moins de vouloir les contrôler, mais d’en être conscients et de savoir rester en leur présence sans paniquer, sans en rajouter, sans réprimer les ressentis ni les déverser sur autrui. Progressivement, par cette vigilance de plus en plus intense et de plus en plus fréquente, nous observerons peut-être une moins grande emprise de nos émotions sur nous et sur les autres. Nous cultiverons peut-être des relations pacifiées et bienveillantes avec nos émotions. En tout cas, nous ne serons plus vraiment dérangés par les émotions des autres car nous saurons les reconnaître et nous les prendrons pour ce qu’elles sont. Les émotions sont un surplus d’énergie généré pour signaler un besoin à satisfaire. Chacun est ainsi renvoyé à sa responsabilité et peut employer son temps et ses forces à nourrir ses propres besoins et à contribuer à nourrir les besoins de ceux qui les sollicitent.
Nous nous installons donc confortablement, et à l’écart de nos vies pour quelques minutes, nous nous entraînons à observer en nous l’énergie émotionnelle. C’est cette énergie qu’on appelle une émotion. Cette énergie ou émotion qui impulse en nous un mouvement corporel. Un mouvement d’avancée et de progrès est ressenti quand nous sommes en joie. Un mouvement de repousser ou de se replier est impulsé quand nous sommes dégoutés. Nous esquissons un mouvement de recul et un mouvement d’ouverture pour faire face à la surprise. Nous ressentons une énergie assez forte destinée à repousser énergiquement quand nous sommes en colère. L’énergie de descente et de laisser tomber est générée quand nous sommes tristes. Enfin, une énergie de franche recul et de vif repli est à l’oeuvre quand nous avons peur.
Méditer c’est observer, en nous, méthodiquement et régulièrement, ces petits mouvements corporels impulsés par ces énergies émotionnelles. Les émotions sont déjà là quand on les remarque c’est pourquoi il est plus judicieux de les prendre en compte à leur jaillissement spontané et incontrôlé.
La posture de l’observateur – cette légère distance intérieure – permet tout d’abord d’éprouver que nous ne sommes pas nos émotions. Malgré les formulations employées comme « je suis triste” ou “je suis en colère », nous ne sommes pas notre tristesse et nous ne sommes pas non plus réductibles à notre colère. Peut-être pouvons-nous essayer de formuler ainsi ce que nous ressentons : « je me sens triste” ou “je ressens de la colère». Utiliser le terme “énergie” introduit une légère prise de distance. Nous cessons de nous identifier à nos émotions et de faire comme un amalgame avec elles.
L’énergie ainsi repérée, identifiée et nommée n’est d’ailleurs qu’un signal. Notre corps envoie un signal sous forme de surplus d’énergie pour réagir à la situation qui se présent à nous. Une situation se présente – qu’elle soit extérieure ou qu’elle soit générée par nos propres pensées – l’émotion est à la fois le signal et l’énergie nécessaires pour se mettre en mouvement et poser une action.
Évidemment, l’émotion est toujours juste. L’énergie est tout à fait naturelle et tout à fait acceptable même si elle est intense. Mais, attention tous les comportements dictés et impulsés par ces émotions ne sont ni légitimes ni acceptables.
Employer les termes comme “énergie” qui impulse un mouvement et nommer précisément son émotion ou ses émotions mêlées permet justement de distinguer l’émotion et le comportement.
C’est très précieux et efficace d’observer et d’accorder de la reconnaissance à cette sensation physique que constitue l’énergie émotionnelle. Il s’agit de reconnaître que l’émotion est déjà là et essayer de l’accepter comme on le ferait de la pluie, d’un coup de soleil ou d’une piqure d’ortie. Il suffit de se dire “ok j’en prends note”.
Par ailleurs, c’est toujours utile de chercher à s’encourager quand une émotion apparaît. On pourra se rappeler que “tout change tout le temps”, que “tout finit par passer”, que” les émotions passent elles aussi” même quand les problèmes demeurent. Ne pas hésiter à se dire : « ça va passer, ça ne va pas durer ».
Si une émotion est présente maintenant, on peut aussi en observer la durée car, dans la plupart des cas, l’émotion ne peut pas durer très longtemps quelques minutes en général. Ce qui fait durer les émotions ce sont les ruminations du mental c’est-à-dire la répétition de pensées négatives. L’émotion, elle, s’estompe normalement progressivement sauf bien sûr pour les grands chocs et traumatismes contre lesquels notre entraînement est loin de suffire bien sûr.
Mais pour les émotions du quotidien, en attendant leur dissipation spontanée, il suffit de revenir inlassablement au ressenti de sa respiration pendant un petit moment. Il faut continuer de respirer : ça évite de rester en apnée et ça permet aussi de dégager un espace intérieur autour de l’émotion et de son impact corporel. Méditer nous prépare à prendre le temps pour s’accorder quelques secondes de mieux-être au coeur de l’agitation émotionnelle. Grâce à la respiration, nous générons un petit brassage interne : en inspirant le corps devient plus ample et plus souple, en expirant, le corps laisse aller et lâche prise.
Enfin, au coeur de nos tempêtes émotionnelles, comme un capitaine chercher à naviguer malgré tout, nous pouvons nous aider de l’expérience suivante. Nous pouvons visualiser une scène de théâtre sur laquelle le projecteur n’éclaire que le centre de la scène en dessinant un cercle de lumière et laissant dans l’obscurité tout le reste de l’espace. C’est une image pour comprendre que l’émotion est là pour mettre en lumière un besoin, c’est pourquoi elle braque le projecteur sur ce besoin. A nous de prendre l’initiative de rallumer la lumière autour pour voir ce qu’il y a autour de ce besoin car il y a souvent autour d’un stimulus ou d’une situation beaucoup plus à comprendre à l’origine de l’émotion. Nous penserons à rallumer la lumière dans la salle de spectacle intérieure. Nous rallumons notre lumière intérieure. Il s’agit d’élargir ainsi le champ visuel et d’élargir le champ de la conscience, sans bien sûr cesser de respirer.
Depuis le champ élargi de la conscience, les problèmes et l’émotion reprennent leur juste dimension. C’est comme si on les remettait à leur juste échelle.
On peut enfin se demander très sincèrement et très simplement : quel est le besoin à prendre en compte pour s’adapter à la situation émotionnelle actuelle ?
Tout le processus vise à reconnaître un besoin pour déterminer et décider ce qui est juste pour soi d’entreprendre pour nourrir ce besoin et faire cesser l’émotion. Quand une énergie de colère est repérée et ressentie, peut-être qu’un besoin de respect est à prendre en compte ou peut-être qu’il s’agit d’un besoin de douceur. Il faut de l’entraînement et de la disponibilité car ce n’est pas évident à reconnaître et à déterminer. Peut-être qu’une énergie de peur a signalé qu’on a besoin de davantage de sécurité ou qu’on aurait besoin de davantage de confiance. Accueillir une énergie de tristesse permet de déterminer le besoin de réconfort et de prendre en compte ce besoin de compréhension qu’elle signale peut-être.
On peut en effet assimiler une émotion à un petit frère qui taperait derrière la porte ou à une petite sœur qui frapperait à notre porte. Ils nous dérangent parce qu’il ou elle a besoin d’un service ou tout autre un besoin rendu nécessaire par telle ou telle situation. On peut choisir de les repousser et engendrer ainsi un surcroît d’agacement, une perte de temps et d’énergie. Il se peut que, dans l’obstination, de l’enfant continue de frapper, de gigoter et de faire du bruit pour venir voir ce que les grands peuvent bien faire d’intéressant sans eux. Comme un petit frère casse-pied ou une petite soeur têtue, on pourrait plutôt choisir d’accueillir l’émotion rapidement et paisiblement.
Une fois le besoin entendu et pris en compte – besoin de savoir ce qu’on fait, besoin de savoir si c’est intéressant ou si on l’aime toujours – il y a fort à parier qu’il repartira joyeusement, y compris si le besoin n’a pas été totalement nourri. Simplement on remarque que l’accueil du besoin et sa prise en compte semblent déjà le satisfaire en partie.
De la même manière, comprendre qu’une émotion de tristesse manifeste un besoin de réconfort, même si dans les minutes qui suivent, ce besoin ne peut être satisfait, c’est déjà beaucoup. Nous nous entraînons donc à accueillir nos émotions et à créer un espace intérieur pour ce faire tout spécialement pour les émotions difficiles. Nous cultivons cette attention aux émotions pour nous libérer plus rapidement de ce ressenti désagréable et pour éviter que les émotions ne dirigent nos vies à notre insu.
Les besoins sont au fond les mêmes pour tous. L’humanité a en partage un certain nombre de besoins comme bien sûr un besoin de sécurité et de satisfaire en priorité les besoins physiologiques. Mais plus largement, les humains ont en partage d’avoir besoin de sens. Ils ont également besoin d’autonomie. Nous avons également tous besoin de reconnaissance et d’estime. Nous préférons aussi tous vivre dans la paix et l’amour. Il n’est pas difficile de démontrer que nous avons tous les mêmes besoins fondamentaux car jamais personne ne désire leur contraire. Il est rare en effet de préférer vivre dans le chaos, dans la guerre, dans la solitude, dans la dépendance, dans l’esclavage, dans la maltraitance, et sans aucun but à sa vie. Les stratégies sont infinies et toutes différentes et particulières mais les besoins fondamentaux sont les mêmes pour tous. Ils sont paradoxalement le point de rencontre et de communion entre toutes et tous. Le savoir et en tenir compte nous rapproche non seulement de nous-mêmes, mais des autres, de tous les autres.
L’observation et l’accueil des énergies émotionnelles et des mouvements corporels sont bienfaisants. La reconnaissance des signaux internes qui signalent nos besoins fondamentaux n’est pas pratique égoïste. Au contraire, une fois toutes ces habitudes prises, nous traiterons les autres comme nous-mêmes. Nous saurons témoigner davantage de compréhension et davantage de bienveillance à l’égard de leurs états émotionnels. Nous reconnaîtrons que les autres ont des besoins non nourris et non satisfaits, ce que signale leur énergie émotionnelle. Ainsi nous prendrons beaucoup mieux leurs réactions car nous saurons qu’elles ne nous concernent pas vraiment et sont rarement tournées contre nous. Au contraire nous saurons leur demander plus vite et plus sincèrement : de quoi avez-vous besoin? Que puis-je faire pour vous ? En quoi puis-je contribuer à nourrir vos besoins ? Méditer permet de ressentir et d’accueillir les émotions. Grâce à la méditation, les émotions ne sont plus les capitaines de nos vies. Nous reprenons le pilotage de notre existence. Ce faisant nous contribuerons aussi à des relations plus apaisées, plus amicales et plus constructives.