IMPERMANENCE
Méditer pour savourer l’instant présent.
Au fond, nous savons très bien savourer l’instant présent spontanément. Comme le Bourgeois gentilhomme de Molière qui faisait de la prose sans le savoir, comme les enfants savent le faire nous disposons de cette capacité humaine fondamentale.
Je l’ai remarqué, en effet, au détour des conversations du quotidien. Si je lance une petite remarque anodine du comme : « Quel beau soleil ! Ou quelle belle journée de printemps ! » ou « ça fait du bien cette douceur du fond de l’air ! » Je m’entends très souvent répondre «oui mais, ça ne va pas durer !! ».
C’est rigolo au fond cette réponse comme un réflexe !
Au début j’en étais un peu attristée, mais j’ai décidé de prendre ces réponses spontanées comme une invitation à savourer encore plus la belle journée qui s’offre à nous.
Par ailleurs – et pour continuer dans le registre météorologique, j’ai appris également qu’en agriculture, le mauvais temps, c’est celui qui dure : un temps sec qui dure trop longtemps fera que les végétaux manqueront d’eau. Des pluies importantes qui tombent sans discontinuer feront périr les plantes. Le critère de la durée n’est donc pas forcément synonyme de réussite et d’abondance et au fond ce n’est pas toujours le plus pertinent pour apprécier véritablement les choses de la vie.
Il nous faut tout d’abord revenir sur ce terme d’impermanence qui est étonnant mais qui ne doit pas nous intimider puisque nous en avons à la fois l’intuition et l’expérience spontanée. Ce terme (anytia en sanskrit) est employé par la pensée bouddhiste au sein de laquelle il occupe une place centrale pour évoquer ce qui ne dure pas et qui change sans cesse. Anytia constitue même une des 3 principales caractéristiques de toute chose. Au cœur de l’enseignement du Bouddha et par la suite de la psychologie bouddhiste, en effet on retrouve cette idée fondamentale, présentée comme un loi intangible de l’univers, que tout change tout le temps, que tout est impermanent, c’est-à-dire « non-éternel » au sens littéral du terme sanskrit a-nytia.
Bien sûr, et dans un premier mouvement, nous pouvons déplorer cet état de fait voire essayer de le contre-carrer. On peut rester soit par le déni – en pensant qu’il y a tout de même bien des choses qui durent éternellement. On peut résister, en essayant de faire durer ou de prolonger ce qui en réalité est changeant fondamentalement. Or, selon la psychologique bouddhiste, s’attacher ainsi excessivement à ce qui ne dure pas est l’une des causes principales de la souffrance, car, c’est ignorer la nature véritable de l’existence et du réel. On ne peut en effet rien espérer de profondément et durablement satisfaisant en se fondant ainsi sur l’ignorance des choses de la vie humaine telles qu’elles sont à savoir changeantes et non éternelles.
Enfin, il me revient un vers d’une des chansons de Michel Berger Les princes des villes que je me répète souvent : « puisque rien ne dure vraiment … ». Posons-nous donc la question : que pouvons-nous faire puisque rien ne dure vraiment ? Je ne crois pas qu’il faille – puisque rien ne dure vraiment – céder à un sentiment d’urgence excessif et à une pression irrépressible comme si c’était demain, la fin du monde. Par contre, il me semble que, grâce à la méditation, nous pouvons tout d’abord prendre le temps de nous concentrer sur ce qui est vraiment important et qui a le plus de valeur, juste ici et juste maintenant.
Grâce à la méditation nous pouvons ainsi mieux discriminer ce qui dépend de nous et ce qui est immuable. Puisque l’impermanence est une donnée de fait, alors, grâce à la méditation, nous pouvons essayer de l’apprivoiser et de l’accepter pour trouver la paix intérieure malgré tout, d’instant en instant. Et enfin, puisque rien ne dure vraiment, face aux petits tracas, aux contrariétés quotidiennes et aux petits bobos, on peut trouver une forme de réconfort, d’apaisement voire d’encouragement. Nous reprenons espoir puisque tout finit par passer, puisque des solutions peuvent émerger et puisque que nous pouvons éventuellement progresser et grandir encore.
« Puisque rien ne dure » et puisque nous ne sommes que de passage comme tout ce qui est vivant, nous méditons aujourd’hui pour nous entraîner à savourer l’impermanence c’est-à-dire à redonner toute sa saveur à l’instant tel qu’il se présente.
Nous avons réussi à dégager au cœur de nos vies trépidantes et animées un espace privilégié pour juste observer, juste se rendre présent à cet instant … et puis au suivant… et nous nous exerçons ainsi à tourner notre attention volontairement sur le présent, comme si le passé n’avait aucune importance, et, comme s’il n’avait aucune conséquence pour le futur.
D’ailleurs, aucune pratique de méditation ne ressemble à la précédente ni ne ressemblera à la suivante, et, justement pour nous exercer nous observons cela.
Qu’est-ce qui, dans la pratique du jour, est totalement spécifique et original.
Et si cette pratique aujourd’hui était un trésor quel serait son aspect, quels seraient ses bienfaits, quels seraient ses limites.
Bien sûr nous sommes installés et nous avons décidé de méditer, nous avons à peu près réussi à nous installer confortablement dans un espace tranquille. Nous sommes heureux d’entendre la musique. Et pourtant dans notre corps, il y a des tensions, des douleurs qui évoluent d’instant en instant et peut-être que dans notre cœur, nous ressentons des émotions changeantes, mouvantes et très certainement que nos pensées vont et viennent, tournoient.
Alors, sans juger, sans critiquer, sans modifier quoi que ce soit nous pouvons simplement savourer d’être nous-mêmes, en nous-mêmes et au plus profond de nous-mêmes la preuve vivante et la manifestation de cette impermanence.
Nos cellules se régénèrent en permanence, nos sensations se renouvellement en permanence tout à l’intérieur de nous, évolue et se modifie d’instant en instant, nous sommes nous-mêmes le champ d’expérimentation de cette impermanence car rien n’est éternel en nous, rien ne dure vraiment et c’est précisément parce que nous sommes des êtres vivants.
Tout le trésor de l’instant présent tient dans cette double proposition qu’en tant qu’être vivant nous sommes en effet le réceptacle ou la manifestation de la vie avec une grand V, dans toute son éternité, qui était là avant nous, qui est là en nous et qui sera là après nous
Mais, en même temps, du fait que nous sommes justement vivants nous expérimentons que tout change tout le temps et que, dans une existence humaine, rien ne dure vraiment.
Heureusement grâce à la méditation, nous pouvons savourer le trésor de cet instant présent dans lequel se côtoient à la fois le caractère éternel et immuable de Vie et son caractère profondément éphémère, changeant et impermanent.