Grâce à un conte amérindien apprendre à connaître la peur pour pour grandir en sagesse et en force.
Faut-il avoir peur de la peur ?
La peur est une réalité de nos vies qui est parfaitement justifiée si l’on songe à des menaces effectives comme le réchauffement climatique, l’état des relations internationales, la malnutrition aigüe sévère sans même parler des attentats terroristes ou des virus zoonotiques.
La peur est d’ailleurs un invariant de l’humanité et des êtres vivants. Certes, une pierre peut se briser comme le disait un jour ma petite fille quand on discutait du vivant. Mais tout de même, jusqu’à preuve du contraire du moins, les pierres ne semblent pas souffrir de cette éventualité. La peur est une émotion plus ou moins intense que l’on ressent de façon qui nous semble parfois justifiée et parfois irrationnelle. Ainsi, les statistiques des accidents de la route sont supérieures à celles de bien d’autres risques et donc rationnellement c’est l’un des risques que l’on devrait le plus redouter, or il n’en est rien. Il semble que l’on soit plus effrayé par ce qui est imprévisible et qui au fond a peu de chance d’arriver ou pour le dire autrement constitue un risque plus faible. C’est comme si l’on s’habituait aux risques quotidiens, mais jamais vraiment au caractère imprévisible de la vie.
Ainsi, la peur c’est une émotion, c’est-à-dire une énergie qui permet de se figer, de fuir ou d’attaquer selon la situation et l’état des forces en présence. Si un lion attaquait, un caméléon, une gazelle ou un ours auraient des réponses différenciées naturellement. En effet, c’est le cerveau reptilien qui est stimulé par le danger. C’est le cerveau de la survie en nous qui permet d’agir ou de réagir face aux dangers pour devenir comme un super-héros, un “super-nous” : nous, en plus rapide, plus efficace, plus courageux que d’ordinaire non seulement pour vivre mais pour survivre. Donc la peur est une émotion très utile et certainement celle qui a assuré la survie de l’espèce car elle nous alerte et nous met en mouvement pour nous protéger, nous préparer voire nous dépasser. Le problème vient de ce que le cerveau ne distingue pas vraiment si le danger est réel ou non. Le cerveau peut avoir peur d’un danger factice, qu’il soit fabriqué par nos pensées ou par des images, comme au cinéma par exemple.
Donc, la peur a mauvaise presse. Montaigne écrivait dans les Essais que c’est de la peur précisément dont il avait le plus peur car elle induirait des comportements irrationnels et absurdes. Dans Star Wars, c’est la peur, au fond, qui mène au côté obscur de la Force, à la colère, à la haine et à la destruction. Et c’est vrai qu’il est des peurs qui s’avèrent nocives, énergivores et dysfonctionnelles. La philosophie est un recours précieux qui, avec Descartes par exemple, nous rappelle que, comme toute chose, la peur est bonne par nature. Ce sont les usages qu’on en fait et les excès dont il faut se méfier. On le voit bien avec la sphère médiatique qui diffuse comme à plaisir des informations anxiogènes alors que objectivement, sur le temps long, le sort de l’humanité s’est considérablement amélioré. Mais les médias mettent en exergue de préférence les exceptions plutôt que la normalité. Or, quand la peur est adaptée à la situation et proportionnée en intensité aux circonstances, Aristote trouve que la peur est appropriée et utile. Et globalement, pour les stoïciens, il s’agit surtout de vivre avec la peur et d’entraîner son esprit à la sérénité et au courage. Au fond, la grande question est celle de la peur de la mort qui infuse dans toutes les existences. La stratégie stoïcienne que Montaigne préconise également, c’est celle de l’habituation. Au lieu de s’agiter et de se jeter partout pour ne pas y penser, les philosophes proposent de s’entraîner à regarder la mort en face comme inéluctable pour nous et d’accepter les risques, l’imprévisibilité et la non-maîtrise, afin de vivre libre et pleinement sa vie, ici et maintenant.
La méditation offre justement cet espace et ce temps nécessaires pour accepter qu’on ne peut pas se préserver de tout et explorer notre peur. Il s’agit de mieux connaître cette émotion, pour la voir venir de loin et s’en libérer rapidement. Car, c’est souvent l’ignorance qui mène à la peur et compromet notre bien-être et notre bonheur. De plus, nos états d’âme et nos humeurs intenses élaborent une vision du monde qui constitue comme un terreau sur lequel, par un effet-retour, les émotions fortes apparaissent de plus en plus facilement. Ou, pour le dire autrement, il nous faut être attentif aux étincelles de la peur en nous pour les traiter et ne pas devenir comme un allume-feu prêt à s’embraser et à paniquer à la moindre occasion. Grâce à la méditation, nous prenons nos responsabilités face à la peur et nous l’assumons, tout en nous exerçant à accéder à nos ressources intérieures. Nous choisissons d’écouter de préférence, en nous, les pensées qui génèrent la confiance, la patience et l’optimisme. Nous cultivons méthodiquement la sérénité, la force et le courage. Nous prenons soin de notre bien-être car avec le bonheur et l’amour ce sont les antidotes les plus puissants à la peur. Expérimentons jour après jour comme la peur en nous reflue quand nous les activons régulièrement.
Wappee était le fils du chef de la tribu des Black Feet. Estimé de tous, il vivait paisiblement entouré des siens. N’ayant peur de rien, à l’abri des intempéries et des bêtes féroces dans le grand tipi, il grandissait en sagesse tout en suivant attentivement les enseignements de son père. Quand Wappee eut douze ans, son père le fit venir.
« Mon fils, le temps est venu pour toi de devenir un homme. Un jour, si les Esprits
le veulent, tu seras le chef. Pour cela, tu dois te montrer à la hauteur de ton
peuple. Tu dois partir dans les collines. Tu reviendras dans cinq nuits. Alors, peut-être seras-tu devenu un homme libre, capable de conduire les tiens ».
Wappee quitta la tribu le soir même et se dirigea vers les montagnes. Il s’installa sur le sommet de la plus haute colline. Seul avec les étoiles, il se sentit libre, prêt à affronter tous les obstacles. Au matin, Wappee se leva, le cœur léger. C’était une belle journée de printemps. La neige fondait lentement sous le chaud soleil. Wappee s’assit et médita sur son avenir. Il devait attendre qu’un Esprit bienveillant lui montre, par le biais du rêve, le chemin qui le mènerait de l’enfance vers l’âge adulte. Mais le jour progressait et Wappee ne voyait toujours rien. Aucune vision, ni âme qui vive, ne venait troubler le silence qui l’entourait. Très vite, la solitude et la peur s’emparèrent de lui.
Le soir venu, il s’allongea à nouveau dans l’espoir d’avoir une vision. Mais rien ne vint. Le lendemain se passa en tous points comme la veille. La journée chaude étala les couleurs de l’aube jusqu’au crépuscule pour se fondre ensuite dans la pénombre de la nuit. Wappee ne bougea pas. Il ne lui restait maintenant que trois nuits avant de retourner chez son père pour lui annoncer qu’il n’était pas devenu un homme, mais qu’il était un lâche. Le Grand Esprit ne lui avait pas permis de faire le rêve. Plus le temps passait, plus Wappee ressentait la douleur de l’échec. Le matin suivant, alors qu’il observait les couleurs du soleil levant, il aperçut une petite fleur aussi blanche que la neige, qui reposait à ses côtés. La fleur ouvrait grand ses pétales pour y laisser entrer le soleil. Elle se balança lentement dans sa direction jusqu’à ce que son esprit troublé fut calmé par la vue des montagnes bleues et de l’herbe verte des prés. Assis non loin de la fleur, Wappee observa les corbeaux
et écouta le bruit du vent. Le jour baissait. La montagne devint rose, puis magenta. Bientôt le soleil disparut, laissant place à l’obscurité. Mais cette fois, Wappee ne se sentait plus seul. Il avait maintenant une amie.« Petite sœur, dit-il, toi si fragile, que fais-tu dans cet endroit froid et venteux ?
Je vais me coucher près de toi pour te réchauffer. Mais je ne veux pas
t’écraser ».Et pendant qu’une partie de son esprit se reposait, l’autre partie veillait sur la petite fleur blanche. Lorsque la nuit se prépara à rencontrer le jour, la fleur parla : « Écoute, Wappee, hier, tu étais triste car tu ne connaissais pas la peur. Celui qui ne connaît pas la peur est fragile. L’homme sage apprend à vivre avec elle ».
Le jeune indien, surpris, s’approcha de la fleur pour mieux l’entendre. Mais la fleur se tût, en se balançant au gré du vent. Toute la journée, Wappee ne cessait de penser à ce que la fleur lui avait dit. La nuit suivante, il protégea encore la petite fleur avec son manteau de fourrure. Puis, à l’aube, la fleur parla : « Tu as
bon cœur, Wappee. Tu iras loin ».
Puis, elle se tût jusqu’à la nuit suivante. Au lever du jour, elle dit encore :
« La sagesse et un cœur bon sont les qualités d’un grand chef. Si tu as des
difficultés, reviens vers les collines, elles t’apporteront la paix et la chaleur ».
Puis Wappee s’endormit paisiblement. Son sommeil fut peuplé de visions, devenu chef de sa tribu, il la vit heureuse et prospère. Il était maintenant temps pour Wappee de retourner vers les siens. Cependant, avant de partir, il dit à la fleur :
« Petite sœur, pendant trois nuits, tu m’as consolé de ma solitude, tu m’as aidé à avoir des visions. Demande-moi ce que tu veux et j’irai voir le Grand Esprit pour qu’il exauce tes vœux ».
La petite fleur répondit :
« Wappee,demande au Grand Esprit de m’habiller de bleu et de violet, comme les montagnes, afin que les hommes puissent me voir et me tenir en compagnie, un petit soleil doré que je garderai tout au fond de mon cœur pour me consoler les
jours de pluie, un manteau chaud pour que je puisse faire face au vent froid qui souffle et à la neige qui fond. Ainsi, j’apporterai confort et espérance à tous les hommes ».
Le Grand Esprit, qui avait entendu cette conversation fut sincèrement touché par la bonté de Wappee envers la fleur aussi, répondit-il aux souhaits de ce dernier.
La petite fleur blanche devint alors bleue et violette avec au centre un cœur chaud et doré, enveloppé d’un manteau de verdure. Cette petite fleur communément appelée crocus des prairies est l’anémone. Les hommes admirent sa force et sa fragilité, ses couleurs et sa chaleur. Elle est aujourd’hui l’emblème floral du Manitoba.
Comme la fleur cherche dans une couleur plus vive à se faire un manteau protecteur, nous prenons le temps de trouver en nous ce refuge, cette protection et à vérifier l’état de nos forces ainsi que de nos ressources propres pour faire face au danger, pour faire face à la menace, face aux inquiétudes et à l’imprévisibilité de la vie.
Comme WAPEE a pris soin de fleur, nous prenons soin de notre peur, nous lui accordons de l’attention. Nous recevons les messages qu’elle nous envoie, pour nourrir les besoins d’anticipation, de préparation, de protection, les besoins de se faire rassurer ou de se rassurer soi-même afin de se dépasser et de s’ajuster à ce qui nous est donné à vivre. Et comme la fleur, dans cette pratique de méditation, nous accédons à notre cœur, à ce qui rayonne en nous et qui est lumineux en nous. Le coeur est vu comme le siège du courage en nous : le cœur et le courage ont ainsi la même étymologie. Au cœur de nous-mêmes, nous trouvons le courage de connaître la peur et de vivre avec. Il ne s’agit pas de se replier et de fuir dans une caverne mais de vivre avec dans la dignité et le le coeur ouvert sur la colline. Nous prenons de la distance par rapport à notre vie quotidienne et par rapport à nos difficultés. Nous cherchons à grandir : à grandir en humanité, en sagesse, en courage. Comme WAPEE nous ne destinons pas ces progrès à notre propre usage mais à l’usage de notre communauté, de notre tribu, au sens conjugal, familial, amical, professionnel, associatif, social et au sens le plus large possible.
Libéré de la “peur de la peur”, davantage conscient de la peur, davantage présent à notre peur, nous cheminons tranquillement, librement, et dignement à travers nos difficultés, les dangers et les menaces. Nous ne choisissons pas ce qui nous est donné à vivre, mais nous avons cette petite “marge de manœuvre” de choisir et d’essayer de vivre à notre manière librement, dignement, courageusement. Et comme c’est difficile et comme c’est ambitieux, nous entraînons, nous exerçons : nous méditons.
Si nos pensées s’évadent ou si notre mental s’agite, nous revenons à la respiration, au ressenti corporel pour nous sentir dans une grande stabilité. Nous cultivons le sentiment de la stabilité intérieure, de l’ancrage personnel afin d’apprivoiser le ressenti de l’inquiétude, de l’anxiété, de la peur, de la panique; Depuis l’espace de la conscience, depuis notre patience et notre confiance nous savons que, petit à petit quand nous ressentirons la peur, nous aurons des techniques et des ressources à notre disposition grâce à notre méditation.
