Méditer pour sortir de nos interprétations
La méditation de pleine conscience permet de s’exercer au non-jugement et propose de sortir de nos interprétations. C’est l’une des sept attitudes fondamentales à cultiver pendant la pratique méditative et certainement l’une de plus importantes transmises par Jon Kabat-Zinn, Au coeur de la tourmente, la pleine conscience, J’ai lu, 2012. https://www.babelio.com/livres/Kabat-Zinn-Au-coeur-de-la-tourmente-la-pleine-conscience-MB/288891
En effet, méditer en pleine conscience c’est juste observer de façon neutre l’expérience présente comme le ferait un scientifique sans parti pris ni préjugé.
Méditer c’est décider pendant quelques minutes de suspendre non seulement l’action et le mode faire mais c’est aussi repérer en nous puis suspendre le mode interprétatif et le mode réactif.
Observer les pensées de manière détachée permet de remarquer notre tendance spontanée à commenter, étiqueter et juger souvent assez radicalement : agréable-désagréable/ j’aime-j’aime pas / bons-mauvais/ vrai-faux etc…
C’est donc un effort au début de choisir de simplement prendre note. On peut noter des humeurs, des pensées, des émotions, des ressentis, des faits, des attitudes et de tout ce qu’offre la vie d’instant en instant….et qu’il s’agit laisser être exactement tel que c’est. Bien sûr, il ne s’agit pas de « se juger jugeant » ni de « s’auto-flageller de juger ». On prendra juste note du mode jugement qui se déclenche, et délibérément, on reviendra au mode observateur neutre. Revenir au mode observateur depuis l’espace de la conscience, c’est le cœur même de la méditation.
Cette attitude est particulièrement difficile pour les enseignants qui sont constamment habitués à l’évaluation dans leur métier. Or, s’en tenir à l’observation des faits, à prendre note d’une situation et à décrire le plus objectivement possible une expérience peut apporter un certain soulagement et éviter de réagir voire de se mettre en colère trop fréquemment. On retient également de l’objectivité qu’elle évite le sentiment d’injustice ou la victimisation et qu’elle permet de responsabiliser les élèves. L’exemple le plus flagrant est en cas de travail non fait : « j’observe que pour la 3° fois le travail n’est pas fait… ». En déterminant au fond à qui appartient le problème et dans quelles mains repose la responsabilité, on permet à l’élève d’évoluer et de moduler son attitude.
Enfin, comme on l’a vu avec l’estime de soi, le l’auto-jugement et l’auto-critique sont à proscrire car ils sont rarement objectifs mais nuisent le plus souvent à une juste vision de soi et faussent le regard que l’on se porte. De la même manière, dans nos relations aux autres, le non-jugement est à la fois plus agréable et plus efficace. Personne n’aime être réduit ni enfermé dans un jugement ou une étiquette. Car au fond ce ne sont pas des ressources efficaces. Et l’on se méfiera en particulier des étiquettes prétenduement laudatives qui sont en fait des manipulations déguisées pour que l’autre continue de se conformer à nos attentes et de combler nos désirs en particulier nos désirs que rien ne change hors de notre contrôle. Et en tout cas, comme on peut le lire chez Marshall Rosenberg dans Les Mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs)quand on pratique l’évaluation et le jugement, il s’agit de les prendre comme tels et non comme des vérités objectives. Le père de la communication non-violente recommande plutôt d’éviter les jugements qui indisposent celui qui les reçoit, induisent souvent une opposition de sa part et diminuent les chances qu’il accepte nos demandes par la suite. Par ailleurs, le jugement fige la situation alors qu’une description factuelle, concrète et mesurable est plus facilement partageable avec les autres et permet mieux de proposer ensuite des actions de transformation. Ainsi on retrouve une mise en mouvement qui est plus conforme au sens du réel toujours changeant. Enfin, le jugement rompt de fait une égalité entre celui qui juge et celui qui est jugé. Certes, il y a des circonstances où l’on institue une différence en fonction du statut comme entre adulte et enfant, expert et novice, magistrat et prévenu. Mais dans ce cas, les jugements ne portent jamais sur la personne mais sur ses actes. Et celui qui est jugé doit répondre de ses actes au regard de normes et de critères précis et connus. Donc, au quotidien, on s’abstiendra le plus possible de juger les autres car en dernière analyse il faudrait être soi-même irréprochable en tout point pour le faire. Comme dans l’Evangile selon Mathieu, occupons-nous de la poutre dans notre œil avant de critiquer la paille dans l’oeil de notre frère. Méditer c’est précisément tourner son regard vers l’intérieur et depuis l’espace de la conscience chercher déjà une certaine clarté en soi et retrouver la dimension du cœur au détriment du mental. Ensuite, au lieu d’asséner des jugements aux autres depuis le mental tyrannique, il suffit, depuis le cœur et la conscience, de rayonner cette clarté et de laisser ceux pour qui elle est bienfaisante venir s’y éclairer s’ils le désirent.
Méditer permet de s’entraîner à sortir de nos interprétations pour rencontrer la vie et les autres. Cette rencontre a lieu alors non pas depuis le mental – volontiers tyrannique et critique – mais depuis l’espace du cœur avec cette intention d’incarner dans chacun de nos actes une certaine éthique.
Pour favoriser la méditation, je propose de retrouver le conte du vieux WANG qui nous accompagne régulièrement avec bonheur. Le récit se déroule durant la seconde dynastie MING, la grande dynastie chinoise qui régna du XIV° au XVII° siècle.
Un paysan chinois du nom de WANG était pourvu d’une grande sagesse, il était veuf mais avait un fils unique qui lui donnait toute satisfaction et faisait sa fierté. Un jour le jeune WANG se trouvait au sommet d’un arbre pour en récolter les fruits mûrs mais il fit une chute grave et se fractura les deux jambes. Tout le monde plaignait le père privé de sa seule main d’œuvre. Mais le vieux WANG dit « bonheur, malheur, qui sait ». Le lendemain la guerre fut déclaré et tous les jeunes gens en bonne santé furent appelés au front. Le jeune WANG en raison de sa blessure échappa au recrutement militaire. Comme les amis de WANG se réjouissaient pour eux le père répéta tranquillement « bonheur, malheur, qui sait ».
Quelque temps plus tard un séisme frappa le village et la maison des WANG fut complètement détruite. Les villageois se lamentaient du mais le vieux WANG disait toujours « bonheur, malheur, qui sait ». Le fils WANG commença à fouiller dans les décombres de la maison pour tenter de récupérer quelques biens, c’est alors qu’il découvrit dans un grand trou sous ce qui restait du plancher et tout au fond, il y avait un coffret contenant un trésor. Il permit ainsi aux WANG de reconstruire leur demeure encore plus belle et confortable qu’avant. Les voisins des WANG vinrent les féliciter et le vieux WANG répéta impassible « bonheur, malheur, qui sait ».
Laissons résonner en nous ce conte.
Le vieux Wang montre un chemin de sagesse et propose ainsi une certaine tranquillité face à l’adversité et face aux imprévus
La source de cette sérénité se trouve dans la suspension du jugement et dans la décision de ne pas étiqueter « bonheur ou malheur » . Ainsi, l’esprit est libéré. Il n’a plus à s’agripper à l’étiquette « bonheur » ni à repousser par aversion l’étiquette « malheur ».
La méditation propose pendant quelques minutes de s’entrainer – dans notre for intérieur – à observer et à utiliser des expressions comme « je note, je prends note, j’observe, je prends conscience, je remarque »
On commencera dès l’installation dans la méditation, dans le choix de l’endroit et du moment. Le mental continue inlassablement de commenter, de comparer, de juger. Souvent il critique ou alors au contraire il s’enthousiasme d’une façon peut-être démesurée.
Si les circonstances de la méditation sont particulièrement favorables, on risque de se mettre de la pression et de vouloir réussir. Or, en méditation il n’y a rien à réussir ni rien à rater.
Il s’agit juste d’être là avec ce qui est, avec l’intention d’observer finement notamment les ressentis corporels : certains sont plus agréables que d’autres pour rencontrer des tensions ou même de la douleur physique pendant la méditation. On voit comme le mental commente et transforme volontiers – par ses inquiétudes et par ses amplifications – une douleur physique en une véritable souffrance psychique. Or, il semblerait que les douleurs ont tendance à devenir davantage chroniques quand elles sont investies par le mental.
De la même manière il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises manières de respirer. Il y a la respiration exactement telle qu’elle est : peut-être longue et facile, mais peut-être courte, difficile, saccadée. C’est ainsi. On retrouve le « ainsi soit-il » et c’est plus efficace et raisonnable de s’en tenir à de ce qui est.
En méditation il n’y a pas lieu de se féliciter d’avoir une respiration longue et facile. Inversement, il n’y a pas lieu de se dénigrer si l’on a du mal à avoir un souffle fluide. Au contraire, vouloir changer ce qui est, introduit souvent une tension supplémentaire. En méditant, nous apprenons petit à petit à faire avec ce qui est là, à prendre en compte ce qui est exactement, comme il est, par une observation fine et détaillée.
Suspendre son jugement c’est choisir de connaître, de comprendre, d’observer ses pensées. On se familiarise ainsi avec son mode pilote automatique pour en avoir une connaissance intime etsubtile : on parvient à se comprendre dans une grande lucidité et dans une authentique sincérité.
Par la suite seulement viendra le temps de l’action : ainsi éclairé sur nos fonctionnements automatiques et nos ressorts intimes, nous pourrons prendre des décisions. Entreprendre après avoir médité accroit nos chances de parvenir à une action adaptée, juste et efficace.
Méditer depuis l’espace de la conscience c’est reconnaître nos interprétations de la réalité et découvrir que le mental a tendance à produire de la distorsion et à déformer le réel. Le mental cherche à maintenir son mode de fonctionnement par défaut, ses préjugés, à sos certitudes. Le mental anime ainsi une boucle d’auto-renforcement. Et petit à petit enfermés de ce type de schémas, nous sommes prisonniers d’une rigidité croissante qui nous coupe du réel dans sa fluide et impermanent.
La méditation constitue un antidote puissant et une voie vers davantage de liberté
Revenir ici dans cet inspir, dans cet expir,
Observer ses pensées depuis l’espace neutre de la conscience,
S’entraîner à suspendre son jugement pour se maintenir juste dans la présence,
Etre pleinement présent dans son corps et dans son souffle,
Préserver une certaine distance avec les pensées,
Se reconnecter avec son cœur et avec ce qui a profondément de la valeur pour nous et notre être véritable
Rejoindre régulièrement ce que nous sommes vraiment quand nous cessons toute agitation, quand nous fermons les yeux, quand nous sortons du jugement et des interprétations.
Nous savourons la clarté de la conscience, nous redécouvrons un espace d’accueil non seulement de nous-mêmes mais aussi de la réalité et des autres personnes
Au lieu de juger, de préjuger et de s’enfermer dans des interprétations et des étiquettes, nous demeurons ouverts, disponibles, dégagés de tout le passé et libres de tout le futur afin d’accéder à des ressources comme la spontanéité, la capacité d’improviser et la créativité.
Merci à Camille NAVARRE, Praticienne en pleine présence et professeur de yoga
https://mmindfulness.fr/non-jugement-meditation-pleine-conscience
https://queditlabible.info/sur/seul-dieu-peut-me-juger
Méditation pour s’exercer au non-jugement