« Bonjour tristesse » : » Comment est ta peine ? » Connaître la tristesse, la vivre et la laisser passer.
A peine défigurée
Texte : Paul Éluard (1895–1952)
Adieu tristesse,
Bonjour tristesse.
Tu es inscrite dans les lignes du plafond.
Tu es inscrite dans les yeux que j’aime
Tu n’es pas tout à fait la misère,
Car les lèvres les plus pauvres te dénoncent
Par un sourire.
Bonjour tristesse.
Amour des corps aimables.
Puissance de l’amour
Dont l’amabilité surgit
Comme un monstre sans corps.
Tête désappointée.
Tristesse, beau visage.
“Adieu tristesse, Bonjour tristesse” est un vers de Paul Eluard dans le poème intitulé, A peine défigurée, paru dans le recueil La Vie immédiate (1932). C’est une oeuvre qui explore contradictions de la vie et les alternances de l’humeur. On y lit la possibilité de percevoir la tristesse et en même temps l’amour dans les yeux aimés.
Cette ambivalence à l’égard de la tristesse est cultivée ensuite par Françoise Sagan qui, âgée de 18 ans seulement en 1954 , l’utilise comme titre de son roman Bonjour tristesse et écrit :
“Sur ce sentiment inconnu, dont l’ennui, la douceur m’obsèdent,
j’hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse”.
On voit donc que la tristesse est une émotion difficile à nommer voire à identifier.
Pour les philosophes, l’émotion c’est une manifestation de la vie affective accompagnée d’un état de conscience altéré – agréable ou pénible. Dans ce champ, l’émotion est plutôt assimilée à un trouble ou à une rupture d’équilibre de durée éphémère contrairement à la passion qui est un déséquilibre durable de la raison.
Pour un individu qui doit réagir à une situation nouvelle ou inattendue, l’émotion sert à produire un mouvement ou un effort. Et c’est au fond la raison d’être des émotions. Baruch Spinoza, au XVII° siècle, aux Pays-Bas, a par exemple bien insisté sur la tristesse. Pour le dire vite, chez Spinoza tout est déterminé par la Nature divine afin de produire un effet. Et selon cet auteur, il y a 2 grandes familles de passions : celles en lien avec la joie et celles en lien avec la tristesse.
La joie est alors présentée comme un passage à une plus grande perfection dans l’affirmation dynamique de son être, comme si l’on se rapprochait ce qui est grand en nous, peut-être de ce qui est divin en nous. Et la tristesse au contraire serait une modification passive de notre être, le passage à une moins grande perfection qui se décline dans d’autres passions, dites des passions tristes comme la haine et l’envie qui rendent l’homme passif et le maintiennent dans un état de servitude. Donc pour Spinoza, le rôle de la philosophie ce serait de permettre à l’être humain d’être et de rester maître de lui-même et, par, une connaissance véritable de ses passions de mieux connaître le réel et de mieux accéder à la plénitude de l’existence. On retrouve ainsi l’aphorisme de Cioran qui fait de la philosophie un antidote à la tristesse.
Jean-Paul Sartre en ce qui le concerne a décrypté les émotions comme une réaction pure. Dans Esquisse d’une théorie des émotions (1939), il cherche à traiter l’émotion comme un phénomène. Et il l’observe ainsi comme un effort de l’homme qui produit et entretient des émotions pour changer le monde par ses seules forces psychiques. Et l’émotion en effet cherche à rétablir le réel tel que l’individu qui la ressent le voudrait. Et on retrouve l’idée que “l’émotion est une transformation du monde” donc elle a un sens et une intention.
En littérature, par ailleurs, la tristesse a été mise en valeur. Le grand siècle de la tristesse c’est le XIX° siècle qui a vu le romantisme accorder beaucoup d’attention à la mélancolie, qui serait un mélange de tristesse et de nostalgie. Victor Hugo par exemple écrivait “ la mélancolie, c’est le bonheur d’être triste”. Musset et Chateaubriand en ont fait le mal du siècle et à la fin du siècle, le Spleen baudelairien en a été le point d’orgue. En effet, le contexte historique est alors marqué par l’industrialisation et le rationnalisme et a pu être perçu comme un “désenchantement du monde” pour citer le sociologue Max Weber. Cette forte remise en cause du sens de la vie et des valeurs traditionnelles a pu pousser les poètes romantiques à trouver dans l’art un remède à ces désenchantements successifs. Un poète comme Alphonse de Lamartine représente bien ce culte de la subjectivité et du Moi profond qui est décrit avec lyrisme et qu’un vers comme “un seul être vous manque et tout est dépeuplé” illustre tel un exemple-type devenu classique.
Pour les psychologues, la tristesse est comme une preuve de notre humanité avec les 4 émotions de base dont nous sommes dotés pour piloter notre vie et qui sont en fait une forme d’énergie. La tristesse est ainsi une énergie dirigée vers le bas qui impulse un mouvement de descente et de retrait comme pour aller en soi-même avec des zones du corps dont l’activité est ralentie comme les membres, bras et jambes qui perdent leur élan. On peut alors mettre en exergue l’utilité de la tristesse qui est de signaler un besoin de réconfort, le réconfort qu’on peut se donner soi-même ou la compassion qu’on peut solliciter d’autrui. La tristesse signale également le besoin de lâcher nos attachements à nos projets, nos proches ou nos illusions afin d’en être ensuite consolés. Donc c’est une émotion qui est tout à fait appropriée quand il faut vivre un deuil ou qu’il faut tourner une page. On se sent alors triste pour ce qui nous a donné de la joie et qui n’est plus là. Et notre tristesse est proportionnelle à la joie qu’on avait : elle peut donc être très intense.
Par conséquent, l’éducation aux émotions est intéressante et le livre de Christel Petitcolin, Emotions mode d’emploi, est à recommander. Car on pourra faire ainsi attention aux attitudes anti-émotions qui empêchent le besoin ressenti d’être vraiment satisfait. C’est le cas par exemple avec l’usage de faux pansements. Ou encore on se méfiera des recadrages qui interpréteraient la tristesse comme de la fatigue. D’autres attitudes génèrent de la culpabilité et d’autres enfin sont dans le déni du ressenti. On saura aussi reconnaître les émotions parasites qui sont parfois mieux tolérées dans certains environnements familiaux. Ainsi il arrive qu’un environnement familial supporte mieux la colère que la tristesse et donc progressivement la confusion s’opère entre les deux émotions, en particulier pour les garçons. La tristesse peut également être victime de racket émotionnel qui est le fait, dans un groupe ou une famille, d’être comme monopolisée par un individu qui en exagère la manifestation avec cette conséquence que les autres en sont comme privés. Autant de pistes à explorer avec profit pour ne plus redouter la tristesse, pour bien la distinguer des regrets par exemple, car l’on peut être triste sans avoir le désir que les choses ne recommencent. Mieux connaître la tristesse permet aussi de ne pas l‘amalgamer à la dépression qui est un état émotionnel troublé mais dans la durée et de façon beaucoup plus intense qu’une émotion qui finit toujours par passer.
Méditer est en tous les cas une pratique utile et bienfaisante car elle permet d’éviter que la souffrance ne se fige en nous et nous paralyse. Nous méditerons pour que la tristesse se fasse mouvement et nous aide à avancer dans la lucidité et la clarté portées sur ce qui nous blesse ou nous manque. Méditer nous aidera à retrouver en nous de la disponibilité pour dégager un espace intérieur dans lequel nous pourrons nous donner du réconfort et nourrir ainsi – au moins en partie – notre besoin de compréhension et de compassion. Nous pourrons mieux nous adapter à la situation émotionnelle et retrouver de la sérénité et du bien-être intérieurs afin de poursuivre notre chemin et vivre bien ce qui se présentera comme nouveau.
la-philosophie.com
“Comment est ta peine ?
“la mienne est comme ça “
En évoquant nos tristesses, l’intention n’est pas de se tirer mutuellement vers le bas mais plutôt d’apprendre à vivre avec. “Apprendre à vivre avec” : c’est bien l’intention de la méditation. Se rendre présent à ce qui est, à ce qui est déjà là et surtout si ça ne nous plaît pas particulièrement. Méditer pour vivre quand même, “vivre avec” et vivre le mieux possible malgré tout.
« Comment est ta peine, la mienne s’en vient, s’en va », c’est une chanson qui du fait bien qu’on a du chagrin.
Savoir dire sa peine et la partager, c’est ce que découvre aussi Riley dans le film Vice Versa. A l’aube de l’adolescence Riley déménage. Elle part du Minnesota, quitte sa vie et ses amis pour aller à SAN FRANCISCO en CALIFORNIE. Ce dessin animé permet d’observer ses émotions depuis l’intérieur de son psychisme. Son enfance se caractérise par beaucoup de joie. Comme on l’a déjà vu, c’est la joie qui, de toute façon, fait vivre jour dans ce film rôle principal. Mais lors du déménagement, on voit Riley évoluer et découvrir de nouveaux états. C’est ainsi que le personnage de la tristesse s’impose progressivement . Au début Tristesse a un petit peu honte d’elle-même et se montre gênée d’être là. Mais, il s’avère progressivement que Tristesse est un personnage essentiel à ne pas repousser ni dissimuler. L’un des tous meilleurs souvenirs de Riley est d’avoir été réconfortée par ses amies après la tristesse d’avoir marqué contre son camp.
Reconnaître d’abord le besoin de réconfort et apprendre à demander du réconfort. C’est l’intention de notre méditation. Nous évoquons une petite tristesse ou un petit chagrin seulement pour servir à l’entraînement et se rappeler à nouveau dans notre corps la manifestation physique de l’émotion.
Ressentir ce que ça nous fait physiquement : sentir cette énergie qui se dirige vers le bas et cet élan qui quitte les membres en particulier. C’est comme si on lâchait quelque chose. Nous cherchons à percevoir les ressentis légers et les signaux faibles. Nous restons présents, sans paniquer devant la tristesse … sans la repousser … sans la minorer. Nous ne mettons pas un couvercle sur notre tristesse mais nous allons à sa rencontre : ce n’est pas dangereux d’être triste. Ça fait partie de la vie et c’est même une énergie qui permet de piloter sa vie. Reconnaître la tristesse, s’habituer à cheminer avec et à rester avec son ressenti physique en nous … parfois sous forme de larmes, parfois de soupirs, parfois de frissons … C’est s’habituer à rester en amitié avec soi-même en toute bienveillance. Depuis l’espace de la conscience, depuis du témoin en nous qui observe et qui n’est pas menacé ni altéré par la tristesse.
Exactement comme le ciel n’est pas altéré par les gros nuages gris …ni par les gros nuages d’orage … ni par aucune pluie même intense, nous ne sommes pas dérangés par la tristesse car l’espace de la conscience peut la contenir toute entière sans en être altérée. Présent aux ressentis physiques de la tristesse nous continuons de respirer consciemment. Nous inspirons de l’énergie pour rester avec le ressenti de tristesse… nous inspirons de l’imagination pour nous représenter qu’il y a un après la tristesse…. Nous inspirons aussi de la détermination car nous souhaitons trouvons une issue à la tristesse… nous inspirons de la patience et de la confiance car nous savons que tout change tout le temps et que tout finit par passer. Les problèmes demeurent, les pertes demeurent, les deuils demeurent mais l’émotion pure et intense de la tristesse finit par passer.
Depuis l’espace de la conscience nous essayons de décrypter le besoin signalé par cette énergie de tristesse. Nous reconnaissons le besoin de réconfort : sans fausse pudeur ni jugement moral nous admettons volontiers que “oui dans telle situation de vie précise nous aurions besoin de réconfort” et nous trouvons ce besoin de réconfort légitime. Chacun a son petit kit de réconfort personnel, de compréhension et de compassion : peut-être se couvrir, enfiler un gilet un peu doux … c’est pas grand-chose par moment …peut-être une tisane ou un chocolat chaud … peut-être une musique ou un roman … peut-être sortir marcher ou peut-être aller dans les boutiques regarder les belles couleurs et les belles formes …peut-être parler à quelqu’un … parler à la pharmacienne … et le plus souvent téléphoner à une amie pour lui dire “comment est la peine, comment elle s’en vient, comment elle s’en va” .
Pour, ici et maintenant, observer dans la clarté de la conscience, que, dans la proportion de la joie ressentie à un moment donné, c’est vraiment triste pour nous de mettre fin à un épisode de vie … à une relation… à un voyage… à un bon moment… à un travail. Oui, il est douloureux de dire “adieu”. Lâcher un attachement authentique et sincère demande de l’énergie car c’est un effort pour s’ajuster au réel qui nous déçoit, qui nous attriste, qui génère du manque, de la perte, de l’isolement, qui nous ramène à nos limites et qui ramène à la finitude de l’existence.
Souvent je m’entends me dire à moi-même, heureusement qu’il y la méditation : heureusement qu’il y a la méditation pour vivre cet épisode de tristesse et que je regagne mon coussin de méditation pour vivre cette tristesse pleinement et prendre soin de ce manque ou de cette perte.
Et progressivement nous nous rendrons mieux présent aux tristesses des autres.
Un jour nous saurons dire non seulement “bonjour tristesse” mais aussi “merci tristesse” de dégager un espace intérieur et d’accueillir la perte, le manque, la fin.
Par le biais de la méditation nous vivons nos tristesses pleinement afin de vivre aussi dans la sérénité et dans l’équilibre la Vie dans tous ses aspects exactement tels qu’ils sont.
Présentation de la tristesse en philosophie, littérature et psychologie afin de renforcer la motivation à méditer pour que la tristesse se fasse mouvement pour continuer à avancer malgré tout.
Comment est ta peine ?
J’ai lâché le téléphone comme ça
En ce beau matin d’automne pas froid
Ça ressemblait à l’été sauf que tu n’y étais pas
Puis j’ai regardé le ciel d’en bas
Indécis, voulais-je y monter ou pas?
Mais savais que j’étais fait, que j’étais fait comme un rat Comment est ta peine?
La mienne est comme ça
Faut pas qu’on s’entraîne
À toucher le bas
Il faudrait qu’on apprenne
À vivre avec ça
Comment est ta peine?
La mienne s’en vient, s’en va
S’en vient, s’en vaJ’ai posé le téléphone comme ça
J’peux jurer avoir entendu le glas
J’aurais dû te libérer avant que tu me libères, moi
J’ai fait le bilan carbone trois fois
Puis parlé de ta daronne sur un ton qu’tu n’aimerais pas
Tu ne le sauras jamais car tu ne m’écoutes pasComment est ta peine?
La mienne est comme ça
Faut pas qu’on s’entraîne
À toucher le bas
Il faudrait qu’on apprenne
À vivre avec ça
Comment est ta peine?
La mienne s’en vient, s’en va
La mienne s’en vient, s’en vaDis, comment sont tes nuits
Et combien as-tu gardé de nos amis?
Comment est ta peine?
Est-ce qu’elle te susurre de voler de nuit?
Comment va ta vie?
Comment va ta vie?
Source : LyricFind
