« TOUT LE MONDE VEUT UNE VIE HEUREUSE » Méditer pour avancer dans le brouillard et retrouver de la clarté en soi.

Tout le monde veut une vie heureuse

« Tout le monde veut une vie heureuse »

Le titre de cette méditation est inspiré d’une citation de Sénèque « Tout le monde, mon frère Gallion, veut une vie heureuse, mais lorsqu’il s’agit de voir clairement ce qui la rend telle, c’est le brouillard ».

« Tout le monde veut une vie heureuse »

Je dédie bien sûr cette méditation aux amies du Val-de-Saône car à cet endroit le fleuve offre en effet une expérience de brouillard assez originale. Certains jours on peut observer une grande opacité sur les berges du fleuve et sur la ville de Mâcon notamment car l’humidité se fait enveloppante et a du mal à s’élever en raison d’un anticyclone qui agit comme un couvercle atmosphérique. 

Par extrapolation, au niveau personnel comme au niveau social voire international, il arrive que l’ambiance (novembre 2020/ mars 2025) soit au  brouillard à la fois par manque de clarté, de lucidité et de perspectives. C’est intéressant de constater qu’il y a plus de 2000 ans la question était déjà la même pour Sénèque. 

C’est bien vrai : par moment, il arrive qu’on n’y voit plus très clair et que l’on se sente perdu dans le brouillard, alors même que l’on aspire paradoxalement à une vie heureuse.

La pratique de la méditation est certainement une ressource à activer en période d’incertitude, d’opacité et de flou à l’intérieur comme à l’extérieur de soi. La méditation permet tout d’abord d’en finir avec l’illusion de la certitude. Elle s’offre aussi comme un outil pour retrouver de la clarté en soi.

Méditer pour avancer dans le brouillard et retrouver de la clarté en soi.

Grâce à la méditation nous pouvons nous arrêter, observer et nous recentrer afin de clarifier en nous la situation depuis l’espace de la conscience. En position d’observateur nous prenons le recul nécessaire et nous cherchons les ressources intérieures utiles pour continuer malgré tout à avancer. Comme des randonneurs dans un refuge, nous faisons halte avant de poursuivre notre parcours, mais cette fois dans la bonne direction et avec le bon équipement.

Installés pour quelques minutes de déconnexion, nous prenons refuge dans le silence relatif et l’immobilité pour nous recentrer et juste observer le brouillard intérieur. 

Nous pratiquons ainsi la méditation dans le brouillard sans autre intention que de pratiquer la méditation dans le brouillard : dans un premier temps, nous ne nous fixons aucun but précis, ni aucun objectif à atteindre. Dans le brouillard, il n’y a plus rien à réussir et ni rien à prouver. 

Finalement et paradoxalement, grâce au brouillard nous expérimentons tout à fait la méditation : nous n’avons pas l’intention de nous détendre ni de nous relaxer. Mais nous nous entraînons  à progressivement observer toutes les dimensions de notre être qui sont éventuellement dans le brouillard : les dimensions physiques, émotionnelle et  psychiques.

Il s’agit d’une déclinaison douce de la pratique de la météo intérieure sur un thème qui spontanément ne paraît peut-être pas très attirant.
Mais justement, c’est ainsi que l’on s’entraîne le mieux à la présence pleine et entière, y compris quand la météo intérieure est au brouillard et à la confusion. 

« tout le monde veut une vie heureuse mais lorsqu’il s’agit de voir clairement ce qui la rend telle, c’est le plein brouillard. » 

Il  y a plus de 2000 ans, les humains devaient faire avec le brouillard météorologique mais aussi devaient se débrouiller avec leur brouillard ontologique et existentiel. 

La méditation entraîne à rester présent au brouillard : il ne s’agit pas de dire “ah lala le brouillard ça n’existe pas” ou  “je vais dégager tout ça avec du dégivrage intérieur” 

La méditation c’est le contraire : c’est aller au contact du brouillard et l’observer finement comme si c’était la toute première fois qu’on se sentait dans le brouillard.

Intérieurement on a peut-être un petit peu froid et on manque un peu de lumière. On dirait que tous les contours sont estompés comme floutés et que l’on ne discerne plus bien les contours au loin. 

Bien sûr on peut être contrarié et  énervé de cette situation car on a envie de continuer d’avancer et de vivre notre vie.

 Mais on se rend compte aussi qu’en continuant comme ça, on va droit à l’accident. Le brouillard nous a fait perdre la visibilité de loin et altère nos facultés d’anticipation. Nous sommes obligés de ralentir et donc de modérer notre allure. Adapter la vitesse c’est peut-être contrariant, irritant, agaçant… Il se peut que ça nous rende même un peu triste et cafardeux. On aurait un peu le « SEUM » comme disent les jeunes à cause de cette ambiance “gloomy” causé par un brouillard londonien. 

Alors pour quelques minutes, on s’arrête et on fait une pause avec soi juste pour observer les effets du brouillard sur soi. Voilà : méditer c’est simplement observer que le réel existe et nous oblige à en tenir compte. C’est certainement plus raisonnable.

Vivre dans le brouillard et traverser une période d’incertitude nous oblige à accepter notre véritable nature. Nos capacités sont limitées, toute existence comporte une part incertaine et hésitante. Tout cheminement comporte des imprévus, des aléas et des moments d’inconfort. 

 Nous prenons le temps de nous asseoir pour bien observer : voilà, c’est inconfortable et opaque.

Puis, dans le silence et dans l’immobilité, depuis l’espace de la conscience, progressivement et sans effort, on remarque qu’on prend de la hauteur et du recul. L’espace de la conscience se déploie vaste, serein et imperturbable. L’espace de la conscience demeure dans la clarté. 

Quelles que soient l’intensité et l’opacité de notre brouillard intérieur, nous observons cette incertitude mais nous ne fusionnons plus avec elle. Nous ne luttons pas non plus avec le brouillard. 

De la même manière avec la période ou le contexte qui sont incertains : nous en prenons acte et le notons.

Nous ressentons instinctivement que nous sommes nous aussi amenés à moins nous bercer d’illusions et à remettre en cause quelques certitudes que nous avions élaborées au fil du temps. En abandonnant l’illusion de la sécurité immuable et inerte, certes, nous nous retrouvons plus exposés, plus dépouillés, et plus vulnérables. Mais nous retrouvons aussi notre humanité dans son authenticité et dans ses limites.

Mais nous nous sentons aussi plus tranquilles car la conscience en nous est un espace infini, inaltérable et toujours clair, toujours lumineux.

C’est depuis l’espace de la conscience, que nous pouvons embrasser à la fois le brouillard intérieur et le brouillard extérieur. Nous pouvons rester présents et confiants. 

Tout autour de nous est mouvant, changeant, incertain mais quand nous tournons notre regard vers l’intérieur, nous ressentons un point d’appui et un refuge. 

Il ne s’agit pas de rester enfermés dans ce refuge et de laisser le monde autour de nous se débrouiller sans nous.

Il s’agit de venir prendre refuge comme on reprend son souffle, comme on fait une halte dans un relais lors d’une randonnée. On ne va pas s’établir dans le refuge de montage, mais on y a trouvé des ressources nouvelles : un peu de repos, de quoi recharger les batteries et repartir. 

Plus la randonnée est difficile, plus le chemin est sinueux, plus il est important de faire étape. Ce serait embêtant de ne pas trouver l’auberge pour un relais.

Or c’est une tendance bien naturelle : plus on a d’activités et plus on a de contrariétés, moins on pense à méditer. Mais c’est tout le contraire qui est sage et pertinent : plus c’est difficile pour nous, plus le brouillard est épais, plus le contexte est hostile, plus il nous faut méditer. 

Il existe peut-être d’autres pratiques qui constituent un havre de paix. Certains font du sport, d’autres jouent de la musique ou chantent. Peu importe que l’on jardine, que l’on cuisine ou que l’on tricote : l’important c’est de trouver l’espace et du temps pour pouvoir clarifier son esprit. On se doit d’essayer de retrouver en soi une forme de clarté pour ne pas ajouter de l’aveuglement au brouillard ou de la cécité à la brume.

Méditer permet d’avancer tout doucement peut-être, mais d’avancer quand même, de toujours avancer et d’avancer longtemps.

Méditer c’est s’ajuster avec soi-même et retrouver son centre. Méditer c’est prendre le temps de choisir sa direction, pour limiter les demi-tours, pour se libérer des illusions et continuer d’avancer une fois que le brouillard s’est levé … ce qui finit toujours par arriver.

Sénèque

Sénèque (en latin Lucius Annaeus Seneca), né à Cordoue, dans le sud de l’Espagne, entre l’an 4 av. J.-C. et l’an 1 apr. J.-C., mort le 12 avril 65 apr. J.-C., est un philosophe de l’école stoïcienne, un dramaturge et un homme d’État romain du Ier siècle. Il est parfois nommé Sénèque le Philosophe, Sénèque le Tragique ou Sénèque le Jeune pour le distinguer de son père, Sénèque l’Ancien.

Conseiller à la cour impériale sous Caligula, exilé à l’avènement de Claude puis rappelé comme précepteur de Néron, Sénèque joue un rôle important de conseiller auprès de ce dernier avant d’être discrédité et acculé au suicide. Ses traités philosophiques comme De la colère, De la vie heureuse ou De la brièveté de la vie, et surtout ses Lettres à Lucilius exposent ses conceptions philosophiques stoïciennes. Pour lui :

« Le souverain bien, c’est une âme qui méprise les événements extérieurs et se réjouit par la vertu1. »

Ses tragédies constituent l’un des meilleurs exemples du théâtre tragique latin avec des œuvres qui nourriront le théâtre classique français du XVIIe siècle comme Médée, Œdipe ou Phèdre.