« LE PRESENT EST CE QU’IL EST, LE NIER EN AGGRAVE LES RESULTATS » Mathieu Ricard
Méditer pour cultiver une manière d’être plus optimale
« LE PRESENT EST CE QU’IL EST, LE NIER EN AGGRAVE LES RESULTATS »
Cette méditation est inspirée par le sourire malicieux de Mathieu RICARD qui demeure pour nous une référence à la fois parce qu’il partage mais aussi parce qu’il incarne ce qu’il expose et s’applique à être cohérent avec ce qu’il propose.
A partir d’un article découpé pour moi par mes parents dans le journal La Montagne, nous revenons à l’essence de la méditation. Méditer c’est accéder à nos ressources intérieures.
Mathieu RICARD revient ainsi sur notre rapport à la réalité : il souligne le manque de discernement dont nous faisons parfois preuve. Notre esprit assez facilement produit des interprétations et des projections mentales et nous entraîne alors aux antipodes de la sagesse avec le risque d’entreprendre, à partir de là, des actions nuisibles.
Nier la réalité, selon Mathieu Ricard, c’est se dire : « au fond les choses auraient pu être autrement » ou « les choses auraient dû être autrement »
Or cette façon de nier le présent, à rebours du traditionnel « ainsi soit-il » est à la source de beaucoup de tourments et de questions inutiles. Comme Mathieu Ricard a une formation de scientifique, il propose de s’entraîner à reconnaître objectivement en quoi consiste la situation.
Pour lui, être en accord avec la réalité, c’est simplement dire « ok, je note » ou « ok je tiens compte de ce qui est »
Il ne s’agit pas d’être d’accord comme on dirait « chic alors c’est exactement ce que je voulais » ni même de se forcer à penser «je suis d’accord avec le réel comme s’il correpondait à ce qui nous faudrait »
Méditer c’est parvenir à formuler un « ok, ok, je le note » ou « ok, c’est comme ça alors »
Reconnaître objectivement la situation permet, selon le sage, de déployer ensuite et dans un second mouvement, de véritables solutions. A partir d’une observation fine de la situation, nous trouverons peut-être des solutions qui sont plus réalistes et pragmatiques. Partir du réel exactement tel qu’il se présente, c’est peut-être plus efficace pour essayer de remédier aux problèmes et aux difficultés.
Ce n’est pas du tout se résigner mais c’est poser le diagnostic le plus juste et le meilleur possible. On n’imagine en effet pas du tout un peu comme un médecin qui refuserait la réalité parce qu’elle ne lui conviendrait pas exactement. On verrait mal un garagiste refuser d’accepter notre problème mécanique et ressasser en boucle « c’est bizarre, cette voiture ne devait pas tomber en panne ». C’est la même chose au service après-vente chez Darty par exemple. On se sentirait drôlement accueilli si l’employé refusait de nous croire et répétait en boucle « hum, ça devrait fonctionner pourtant ».
Si le médecin, le mécanicien ou le service après-vente niaient le réel ils trouveraient jamais la bonne solution.
Si on prend modèle sur leurs pratiques, si on se dit « ok je le note et je fais un diagnostic le plus juste et le plus précis possible et ensuite je me mets à l’œuvre pour trouver la solution s’il y en a une », on parvient sans doute à mieux vivre ce qui nous arrive
Nous essayons de nous inspirer des préconisations de Mathieu RICARD non pas dans l’intention de nous transformer en moine bouddhiste ni de partir dans un ermitage dans l’Himalaya. Mais nous aimons qu’il nous propose de devenir progressivement un meilleur être humain.
Prendre le présent pour ce qu’il est, et, ne plus le nier peut nous éviter de générer des souffrances psychiques ou des tourments émotionnels. Car, à bien y regarder, c’est souvent notre esprit et le commentaire produit par notre esprit sur le réel qui nous condamnent à une sorte de double peine. Le réel est adverse, et, nous ne pouvons pas nous empêcher de nous en rajouter en le commentant négativement, ou, pire en le niant et en le refusant totalement.
Méditer, régulièrement et inlassablement, c’est cultiver une manière d’être plus optimale pour accéder à nos ressources intérieures. Nous nous entraînons pouressayer de faire grandir en nous les qualités qui sont déjà là et que les traditions contemplatives permettent de nourrir. Petit à petit, nous cultivons une façon plus constructive de faire face à la réalité car nous nous sentons plus stable et plus solide pour faire face aux hauts et aux bas de l’existence.
En nous entraînant à revenir au présent, nous développerons un regard plus objectif et un diagnostic précis. Nous nourrirons aussi nos qualités de résilience ainsi qu’un meilleur équilibre émotionnel. Nous parviendrons aussi peut-être à une plus grande ouverture à l’imprévu et aux autres humains qui sont comme nous souvent imprévisibles. Revenir au présent tel qu’il se présente c’est cultiver ,une belle force de caractère au fond.
Dans l’espace réservé et dans le temps dédié à la méditation, nous nous sentons comme protégés du reste de toutes nos préoccupations. Pour un temps nous mettons à l’écart de tout et nous n’y sommes pour personne. C’est mieux de s’entraîner à l’abri du réel dans un premier temps comme on s’entraîne sur un bassin avant de prendre la mer ou dans un manège avant d’aller de chevaucher au grand galop à travers champs.
Nous nous dédions à l’observation. C’est difficile au début de s’en tenir à la simple observation de ce qui est. C’est un effort initialement de désamorcer en nous le petit réflexe de commenter le réel. Ce n’est pas évidente de ne pas céder à notre petite habitude qui consiste à dire non au réel. Ce n’est pas spontané de cesser toute opposition et toute résistance à la réalité.
Il faut une certaine pratique pour parvenir spontanément à dire « ah ok » à une petite surprise. Il faut répéter de nombreuses fois pour dire passé l’instant premier de la surprise tout simplement : « ah ! ok, je prends note ».
En méditant je commence par prendre note de ce qui est là pour moi. Juste ici et juste maintenant j’essaye de poser le diagnostic le plus fin, le plus subtil possible déjà moi à moi-même. Il ne s’agit pas d’entrer dans une conversation, dans un dialogue, dans une controverse avec soi-même. Car cela agiterait encore plus nos pensées.
Il faut pratiquer au fil des jours, surtout les jours ordinaires, quand il n’y a rien de spécial à signaler pour que faire cet état des lieux devienne un automatisme à notre disposition dans les jours extraordinaires, dans les moments de crise, et les grands creux de la vague de la navigation de la vie.
S’assoir dans l’immobilité, décréter qu’on ne fera dans les prochaines minutes pour s’accorder le temps nécessaire à l’observation.
Observer tout spécialement les zones de nous qui portent encore les stigmates et les souvenirs de nos dernières luttes avec le réel.
Se remémorer toute l’énergie qu’on a laissé dans ses batailles livrées à peine perdue contre la réalité telle qu’elle est, telle qu’elle nous est donnée à vivre.
Qu’avons-nous eu à traverser récemment ou il y a quelque temps, qui, d’emblée, ne nous a pas convenu ? Qu’est-ce qui nous a irrité ? Qu’est-ce qui nous a contrarié et qui a suscité en nous une lutte intérieure ?
Quand avons-nous pour la dernière fois avancé dans la vie en résistant ou avons-nous avancé avec le frein à main ? Est-ce qu’il nous est arrivé quelque fois, de façon contre productive et paradoxale, d’affronter une situation déplaisante en disant « non » de tout notre être ? Nous agissons mais en même temps notre mental refuse ce qui est, et se révolte contre le réel sur lequel nous agissons pourtant déjà et il se déclenche ainsi : « oh non, c’est pas possible », « oh non, c’est pas vrai » « oh non de non, j’y crois pas », « oh non, j’en ai marre », « oh non, pas cette fois, oh non, pas encore une fois » « ah non, pas comme la dernière fois ».
Et en laissant un peu décanter, on peut distinguer ce qui était vraiment de l’ordre de l’adversité voire de l’hostilité. Reconnaissons ce qui est vraiment désagréable et contrariant. Mais reconnaissons aussi peut-être qu’on s’est peut-être lesté encore un peu plus en commentant voire en déformant un peu les faits.
Vérifions que notre appréciation négative, notre amplification des commentaires décourageants et notre tendance à la dramatisation voire à la catastrophisation finit peut-être par nous entraver nous-mêmes.
Observons le discours intérieur et toutes nos attitudes qui finalement dispersent notre énergie et nous coupent de nos ressources intérieures.
Parfois on s’en est pris aux autres
Parfois on a cherché un coupable
Peut-être qu’on s’est mis en colère contre les autres. Souvent on s’est mis en colère contre nous-mêmes. Il est arrivé qu’on s’en veuille atrocement à soi-même.
Ca n’a rien à voir avec la méthode d’autopersuasion que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles comme disait Candide. Ce n’est pas du « youkaïdi youkaïda, je vais bien, tout va bien »
Ce n’est pas non plus de l’ordre d’un « même pas peur, même pas mal ».
On a tout à fait le droit et de toute façon il en est ainsi de se sentir accablé, découragé, contrarié, de se sentir en colère, de se sentir affligé.
Noter la réalité telle qu’elle se présente, c’est aussi observer ce que l’adversité produit en nous. C’est à la fois être présent et demeurer dans la présence pleine et entière à nos ressentis. C’est observer ce que ça nous fait et quelle l’énergie se manifeste alors en nous. C’est demeurer en amitié avec le stress suscité, avec la colère provoquée ou avec la déception générée par l’adversité. Nos ressentis sont en effet une partie de la réalité : ils sont là, ils sont déjà là
L’enseignement reçu de Mathieu RICARD consiste à dire : « cessons de nier c’est-à-dire de produire la pensée ou des commentaires du type
« ça n’aurait pas dû arriver,
ou les choses pourraient être autrement,
ou les choses devraient être autrement ».
Ce qui nous advient du réel tout comme nos ressentis intérieurs ne peuvent pas être autrement et ne doivent pas être autrement. Les faits sont les faits : ils sont déjà là. Les reconnaître et les noter comme des faits c’est déjà ça.
Le présent est ce qu’il est, plus il est étonnant ou stupéfiant et plus j’ai besoin d’être bien au clair de mes ressentis. Plus le présent est adverse, et plus j’ai besoin de me rassurer et de me rappeler que j’ai des ressources intérieures sur lesquelles je peux m’appuyer.
Pensons à Robinson CRUSOE sur son île déserte. Il accuse bien sûr le coup dans un epremier temps mais assez vite après le choc du naufrage, il commence à faire l’inventaire de ce qui lui reste comme ressources. Il répertorie les ressources tirées du bateau, des ressources tirées de l’île, des ressources intérieures auxquelles il peut avoir accès et qu’il doit mobiliser pour survivre.
S’il passe le reste de ses jours à se dire que ça n’aurait pas dû arriver, qu’il n’aurait pas dû pas faire naufrage ou s’il passe son énergie à calculer ce qu’il aurait fallu faire pour que ça n’arrive pas : ça ne l’aide pas car à la fin il resterait prostré sur la plage et probablement qu’il disparaîtrait.
Songeons plutôt à Robinson Crusoë et à tous ceux que l’adversité met à l’épreuve aux belles qualités humaines d’adaptabilité et de résilience. Songeons à mobiliser la compassion et l’auto compassion dans ces moments difficiles et désagréables. Reprenons confiance dans notre capacité à restaurer notre équilibre émotionnel. Rappelons-nous qu’on n’est jamais tout à fait seul : on a peut-être un ami, de la famille, des relations. Au pire on trouvera bien ne serait-ce qu’un tutoriel sur youtube. Il y a forcément une ressource à activer pour les petites avaries de tous les jours et les petites contrariétés du quotidien.
Nous méditons comme on mettrait un film sur pause. Alors, nous disposons d’une petite marge de manœuvre pour laisser émerger en nous, les éventuelles ressources à mobiliser et auxquelles spontanément on n’avait pas encore songé.
Ainsi progressivement la méditation devient l’une des ressources tout à fait privilégiées et un outil toujours disponible sur lequel compter au cours de la navigation dans notre vie.
Claude Monet (1840-1926)
La pie
Entre 1868 et 1869
Huile sur toile
H. 89 ; L. 130 cm
© RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski